Femmes et industrie : histoire(s) et perspectives
Les femmes sont sous-représentées dans l'industrie. Las du caractère souvent évasif des « explications » données sur le sujet, j'ai choisi de plonger sans bonnet de bain dans cet océan plutôt agité.
"We want more of everything!" En 1948, le ministère du travail anglais exhorte les femmes à retourner dans l'industrie. Car oui : la production d'après-guerre dépend d'elles !
Au programme :
✅ Un édito exclusif de Madame la Ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, qui me fait l’immense l’honneur de soutenir #Industry4Good.
✅ Un peu d’histoire : « L’alchimie : pilier de la sexualisation de l’industrie ? »
✅ Une tribune passionnante par une femme passionnante, Nadalette La Fonta-Six : « Le prochain Steve Jobs sera une femme. »
✅ Un décryptage du Guide des bonnes pratiques innovantes en matière d'égalité femmes-hommes dans l'industrie, publié cet été,
✅ La réponse de Guy Mamou-Mani à ma question : « Est-ce que les entités dirigeantes et politiques font semblant de vouloir faire évoluer les choses dans ce domaine ? »
Un immense merci à Corinne Hirsch et Élodie Dratler de m’avoir inspiré, et d’avoir contribué à cette newsletter en me partageant avec beaucoup de sympathie quelques clés de leur(s) passion(s). Merci également à Olivier Lluansi et Yves-Marie Cann pour leur accompagnement crucial, et leur soutien spontané, particulièrement réactif et bienveillant.
Parité femmes-hommes dans l’industrie : continuer à élever le seuil de notre ambition !
✍ Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée à l’industrie, me fait l’honneur d’ouvrir cette seconde édition de la newsletter en répondant à une question centrale : quels moyens déployer pour avancer plus vite en matière de parité dans l’industrie ? 🏭
C’est José Ángel Gurría, le secrétaire général de l’OCDE qui disait : « les femmes sont l'actif économique le plus sous-utilisé au sein de l'économie mondiale. » En France, dans l’industrie, on compte moins de 30 % de femmes et ce chiffre n’évolue pas depuis dix ans. Le taux est plus faible encore dans les fonctions de directions opérationnelles ou de R&D. Pourtant, l’industrie en France ce n’est plus Germinal ; ce n’est plus la capacité à porter des charges lourdes et à endurer des conditions de travail difficiles qui font la différence. Nos usines sont technologiques, l’ergonomie des postes de travail a été pensée et les machines à commandes numériques ouvrent des perspectives professionnelles à plus forte valeur ajoutée.
Avant la crise, les industriels recensaient pourtant près de 50 000 postes non-pourvus et, aujourd’hui encore, des industriels m’interpellent sur les difficultés qu’ils rencontrent à trouver les compétences indispensables au développement de leur activité. Les femmes n’ont donc aucune raison de ne pas s’engager dans l’industrie. Ce d’autant que dans l’industrie, les salaires sont en moyenne plus élevés que dans d’autres secteurs, le taux de CDI plus important qu’ailleurs. À l’heure où la relance passe par la reconquête industrielle, nous avons besoin de tous les talents dans l’industrie, au premier rang desquels des femmes. C’est non seulement un enjeu d’équité et de société, mais également un enjeu de compétitivité.
Le président de la République a fait de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat. Pour faire bouger les lignes, j’ai créé le Conseil pour la Mixité et l’Égalité professionnelle dans l’Industrie, placé sous l’égide du Conseil national de l’industrie. Cette instance présidée par Sylvie Leyre, ancienne DRH de Schneider et auteure de l’index de l’égalité femmes-hommes en entreprise, réunit le patron de l’UIMM, des représentants syndicaux et des dirigeantes d’entreprise. Il a pour mission de proposer des solutions pour attirer davantage de femmes vers les métiers de l’industrie, les aider à y faire carrière et faire en sorte qu’on développe leur potentiel pour atteindre des postes de direction.
Attirer les femmes dans l’industrie, cela nécessite la mobilisation de tous et une vigilance permanente pour provoquer un changement culturel radical. Car c’est dès l’enfance qu’il faut faire évoluer nos représentations et nos biais inconscients qui les structurent. Ainsi, l’une des premières actions de ce conseil a été la signature de la « Charte pour une représentation mixte dans les jouets ». Car les stéréotypes se forment dès l’enfance. Oui, une fille peut rêver d’avions ou de jeux de construction et se projeter dans le métier d’astronaute ou de pompier ! Cette démarche doit être complétée dans tous les lieux de savoirs et d’influence (écoles, bibliothèques, médias, journaux, etc.) pour mettre en valeur les sciences dures et les métiers de l’industrie, tant pour les jeunes filles que les jeunes garçons. La « Semaine de l’Industrie », qui a permis lors de l’édition 2019 d’accueillir 800 000 jeunes dans les usines – un record – a un rôle à jouer dans ce plan d’action.
Dans le même esprit, j’ai lancé le grand défi IndustriElles pour mettre en lumière un vivier de 1000 femmes dans l’industrie partout sur les territoires. Je veux que tout le monde sache qu’il y a de nombreuses femmes dans l’industrie et qu’elles s’y épanouissent. Plus récemment, j’ai présenté le « Guide des bonnes pratiques innovantes en matière d’égalité Femmes-Hommes dans les entreprises », en juillet dernier, pour faciliter le passage à l’acte des entreprises et favoriser la parité dans le monde professionnel.
Il n’y a pas de fatalité et je continuerai à agir jusqu’à la fin de mon mandat ministériel avec la détermination des plus convaincus ! Car nos enfants nous regardent. La crise sanitaire sans précédent que nous vivons et ses répercussions économiques et sociales ne sauraient justifier d’en rabattre sur nos ambitions en matière d’égalité femmes-hommes. Les femmes ne doivent pas être, une fois de plus, la variable d’ajustement.
Agnès Pannier-Runacher
L’alchimie : pilier de la sexualisation de l’industrie ?
Le rôle de l’alchimie dans la construction de la religion industrielle au sens de Pierre Musso a été absolument majeur. Alors certes, l’Homme a assez rapidement intégré que l’on pouvait transmuter un métal en un autre métal sans pierre philosophale, mais l’héritage des alchimistes a fait perdurer cette vision des métaux qui naissent du ventre de la Terre-mère.
Mineurs et métallurgie interviennent dans le déroulement de l’embryologie souterraine : ils précipitent le rythme de croissance des minerais, ils collaborent à l’oeuvre de la Nature, ils l’aident à accoucher plus vite, finalement.
Les Saint-Simoniens se présentaient comme des « mâles » désirant féconder la terre grâce à la technique comme lorsqu’ils préparent, au début des années 1830, le projet du percement du canal de Suez…
Colbus Fribergius, médecin allemand et auteur rappelle dans un texte rare qu’au Moyen-Âge, on croyait que les minerais étaient engendrés par la copulation de deux principes : le souffre et le mercure, expliquant (et je cite l’ouvrage) : « Il faut un géniteur et une chose soumise ». Le souffre représentant la semence masculine, et le mercure la semence féminine.
Pour continuer dans les analogies, Francis Bacon disait que les « Mécaniciens, mathématiciens, médecins, alchimistes et magiciens se mêlent de pénétrer la nature au niveau de ses œuvres ». Michel Chevalier (Saint-Simonien) parle lui des « entrailles de la terre », un peu comme Jules Verne le fera de manière légèrement plus subtile avec son voyage au centre de la Terre.
En somme, et sans vouloir à tout prix sur-analyser la sémantique d’un autre temps, les biais sexistes sont apparus très tôt comme un pilier de l’esprit industriel, plus ou moins consciemment. On peine aujourd’hui à rendre l’industrie « sexy », mais visiblement, il n’a pas été difficile de rapidement la sexualiser. Est-ce que cela annonçait la couleur ? Facile à supputer, difficile à prouver, simple à imaginer.
« Le prochain Steve Jobs sera une femme »
✍ Un texte de Nadalette La Fonta-Six, écrivaine, passeuse de mots et conférencière. Membre du « Comité des sages » du Do Tank Digital Ladies & Allies
Imaginez : 1982, 27 ans, je franchis le pont qui mène à l’Île Seguin, je viens d’être embauchée à la RNUR (Régie Nationale des Usines Renault), je vais faire un stage ouvrier d’un mois à la chaîne de montage de 4L. Des femmes, il n’y en a pas dans l’usine et les youyous m’accueillent, un peu stressants, et puis tant de gentillesse devant la gamine. Des femmes cadres, nous sommes peu également, j’allais le découvrir, et pas trop haut gradées, s’il vous plaît. Dans les bureaux, nous sommes souvent bizutées, pas toujours sympathiquement. Des brèches se font : Patricia Barbizet que je rencontre à la tête de la DIAC, puis une première femme chef d’atelier. Des OVNI. Mais l’industrie est un monde d’hommes : ils le proclament au quotidien. C’est un chouette monde, j’aime la production, les crash-tests et le bureau du style.
En 1984, je suis embauchée par Apple pour lancer le Macintosh. Je ne connais ni Apple, ni l’informatique. Et même chose, je découvre un milieu fascinant intellectuellement, mais peu heureux émotionnellement. J’adore apprendre et faire parler tous ces geeks compliqués, parfois introvertis, certains machistes, et comprendre avec eux ces futurs qui se mettent en place. Ce que j’avais pris pour un gadget est une vraie révolution, industrielle aussi. La Tech : cette nouvelle industrie incroyable. Dont les héros sont des hommes. L’historiette se terminera mal, mais c’est un autre sujet.
Mon chemin se poursuit dans cette Tech encore peu comprise. On y reconnaît aux femmes des talents complémentaires, nécessaires, mais ce n’est pas une vraie place.
Industrie lourde ou numérique, les femmes jouent les « utilités » dans la distribution des rôles. Les hommes savent tout. Les femmes ingénieurs arrivent en nombre, mais pour être à la double peine : outre le plafond de verre, il y a la problématique de vivre dans un monde conçu par et pour les hommes. Certaines rendent leur tablier industriel. Des innocents s’étonneront du faible engouement des femmes pour l‘industrie. Ce n’est pas qu’on n’aime pas, j’adore, mais franchement c’est fatiguant de vivre le couteau entre les dents pour ne pas décrocher le gros lot, et de modérer son élan parce qu’on ne vous laisse pas vous exprimer. Et de travailler invisible, 10 heures par jour, en assumant tout d’une vie de famille ou personnelle.
Avec l’an 2000, les réseaux féminins ont éclos. Le Cercle Interelles a secoué le cocotier de la Tech. Chez IBM, de vraies portes étaient ouvertes, parce que, dans cette entreprise, la non-discrimination au sens large avait eu le temps d’infiltrer les esprits depuis la lettre de Thomas Watson Jr. (Chairman et Président d’IBM de 1914 à 1956) en 1953. Et j’ai bien cru que les temps avaient changés.
“It is the policy of this organization to hire people who have the personality, talent and background necessary to fill a given job, regardless of race, color or creed.” — T. Watson Jr.
D’autant plus que l’informatique est devenue industrielle, connectée, une industrie de services. Avec des attentes plus globales et diverses : les femmes excellent dans ce monde industriel plus conceptuel, à mener les grands projets, les alliances, les transformations. Pourtant, elles ne représentent toujours pas en 2020 la vraie moitié du « ciel » industriel.
Ne me parlez donc pas de parité vraie dans les industries, pas encore. La moindre crise, n’importe quel impératif économique ou financier sont susceptibles de reléguer l’égalité des chances, si fragile, au rang des vœux pieux. Même dans ce digital qui prétend irradier notre monde, les femmes butent sur le seuil, bloquées, depuis 10 ans.
C’est pourquoi j’ai repris du service pro bono auprès du Do Tank Digital Ladies and Allies, pour travailler au cœur et au corps, l’ensemble des strates inertes ou rétives de l’industrie numérique dans sa globalité, en ne nous satisfaisant pas de l’arbre qui cache la forêt : les superbes bonnes pratiques en la matière de quelques grands groupes et entreprises vertueuses, qui sont formidables, indispensables, mais insuffisantes à changer rapidement un système de valeurs périmées.
Nous ne restons pas là poliment à demander : je parle de justice, de place légitime, je parle d’oser, d’imaginer, je parle d’un changement de gouvernance désormais.
Le prochain « Steve Jobs » sera une femme. Le monde y gagnera en éthique et en collaboration, et probablement, en sérénité et innovation. Deux mots jusqu’à présent antinomiques et quasi-hérétiques. Deux mots vers un monde plus sain. Ensemble.
Égalité femmes-hommes dans l’industrie : suivez le guide (sans faire semblant).
Le 21 juillet dernier, Agnès Pannier-Runacher et Élisabeth Moreno présentaient à Bercy un « Guide de bonnes pratiques innovantes en matière d’égalité femmes-hommes dans les entreprises » (téléchargeable ici).
Un constat saute aux yeux : les femmes qui viennent travailler dans l’industrie n’y restent pas. Un challenge fort reste à relever donc, au-delà d’attirer les femmes dans ces secteurs : mettre des mots sur des dysfonctionnements paritaires, et les contrer.
Autre point un peu effrayant : dans les industries où les femmes s’avèrent plus nombreuses, comme les industries électronique et agroalimentaire, les femmes sont à la fois surexposées en termes de santé et pourtant rendues invisibles.
Mais alors, puisque l’on sait maintenant que la mixité favorise l’impact économique et social de l’industrie, combien de temps faudra-t-il pour que les comportements sexistes soient pénalisés comme comportements nuisant à la bonne santé de l’entreprise, bien au-delà des mœurs ?
La CFE-CGC a créé un MOOC sur l’égalité professionnelle, que j’ai eu l’occasion de découvrir dans le cadre de l’écriture de cette newsletter. C’est gratuit, et c’est plutôt ludique.
29% de femmes dans l’industrie, 15% dans les COMEX. Lorsque l’on lit que de nombreux dirigeants industriels doivent parfois refuser les demandes de leurs clients, faute de disposer de suffisamment de ressources humaines qualifiées, que penser de ce ratio ? Le chômage en France n’épargne pas les femmes. L’industrie représentant environ 12% de notre PIB, on peut imaginer la nécessité de véritables moyens offrant des perspectives professionnelles dans ces secteurs pour les 1,2 millions de femmes au chômage en France.
Le rapport met en lumière l’importance d’aller largement au-delà de la mise en place d’actions de communication.
Attirer les femmes dans l’industrie nécessite des évolutions structurelles tangibles de l’entreprise, au-delà de la stratégie de recrutement en elle-même.
Peut-être tient-on là une des raisons pour lesquelles, malgré les efforts menés depuis 10 ans, la situation n’a pas évolué en termes de mixité et de parité dans l’industrie.
Nous, les hommes, devons soutenir cette cause activement. La situation n’évoluera pas significativement sans le soutien réel de COMEX… composés à 85% d’hommes.
À l’opposé, se focaliser sur le rôle des COMEX, CoDir ou même CA est une erreur. Les cadres intermédiaires ont un rôle extrêmement important dans l’atteinte de la parité et de la mixité dans l’industrie. Ils embauchent, ils gèrent les équipes sur le terrain, et leur pouvoir de prescription est immédiat opérationnellement parlant.
N’attendons pas tout des dirigeants, et éduquons-nous. Nous pensons parfois savoir ce dont les femmes ont besoin au travail pour évoluer dans les meilleures conditions. Ne pas être sexiste au travail ne suffit pas pour contribuer à une amélioration de la situation... Lisons, communiquons, interrogeons nos collègues, faisons de l’égalité au travail un sujet omniprésent tant dans les comités exécutifs qu’à la machine à café.
Dans une récente discussion, Élodie Dratler, experte dans l’industrie de l’AdTech et fondatrice du cabinet WOMINDS, me rappelait qu’au rythme où vont les choses, il faudrait 257 ans pour combler les disparités dans le monde du travail.
Et l’écart commence dès la perception de la notion d'égalité. Dans une étude qu’elle a réalisée auprès de l’institut de sondage Happydemics pour WOMINDS, en juin 2020 sur 1106 individus, 40% des femmes de 25-49 ans interrogées pensent qu’il n’existe aucune égalité de traitement des genres en entreprises, contre 25% des hommes de 25-49 ans interrogés. Sur la question de la confiance en l’évolution de la place des femmes en entreprises, les hommes sont optimistes. 55% sont confiants contre seulement 3 femmes sur 10... sachant qu’ ils sont 12% seulement à penser que la féminisation des entreprises peut avoir un impact positif sur le business de l’entreprise.
« C’est précisément pour réussir l’égalité des chances que les dispositifs d’inclusion des genres doivent devenir une condition non discutable à la révélation de tous les talents mais aussi de modèles auxquels les femmes peuvent s’identifier. L’habitude aveugle la prise de conscience. Il reste encore du chemin à parcourir dans les têtes de chacun.es. » — Élodie Dratler
Messieurs les dirigeants, si vous ne le faites pas par responsabilité sociétale, faites-le pour la santé et la pérennité de nos entreprises. Et même si vous le faisiez un peu pour la com, mais que vous mettez tout en oeuvre pour accueillir davantage de profils féminins dans les meilleures conditions, personne ne vous en voudra.
« Garder en tête que ce type de comportements (sexisme) n’est que très rarement visible, et qu’une impression globale d’un environnement sain ne veut pas nécessairement dire qu’aucune problématique n’est rencontrée par certains ou certaines employés. » — Extrait du Guide de bonnes pratiques innovantes en matière d’égalité femmes-hommes dans les entreprises
Parce que la féminisation de l’industrie sera un pilier du progrès sociétal, d’une innovation plus forte et rapide, de davantage d’intelligence économique, d’un climat social apaisé, et plus largement de notre épanouissement.
En faisant des recherches sur le sujet, je suis notamment allé taper « Femmes industrie » dans la barre de recherche Twitter. J’ai déroulé les 200 plus récents tweets sur le sujet : la vaste majorité d’entre-eux parlaient soit de femmes et d’industrie textile, soit de femmes et d’industrie pornographique. Cliché ? Sûrement. Hasard, malheureusement je ne pense pas.
En complément, je vous propose d’aller suivre les comptes suivant, dont les initiatives dans ce domaine me touchent particulièrement :
Elles bougent : https://twitter.com/Ellesbougent
Digital Ladies & Allies : https://twitter.com/digital_ladies
E-mma : https://twitter.com/Org_Emma
Cercle InterElles : https://twitter.com/InterElles
Vous êtes 1400 à avoir lu cette newsletter à ce stade, je compte sur vous pour aller les suivre ! 🙏
Pourquoi je vous parlais de « faire semblant » dans le titre ? Derrière mon optimisme se cache d’énormes questionnements. Je vois des dirigeantes et des dirigeants évoquer dans des conférences l’importance de la parité et de la mixité. Et pourtant :
Nos consœurs doivent encore faire la manche dans l’espoir de l’égalité salariale, une requête tellement basique… Une humiliation pure et simple en 2020.
Les avancées moyenâgeuses sur le sujet du congé paternité.
Si nous ne sommes pas en mesure de faire avancer ces sujets porteurs d’évidence avec plus de courage, comment rester optimiste ? Tout simplement parce que nous n’avons pas le choix. Par ce texte, je souhaite apporter tout mon soutien aux femmes qui luttent avec courage pour rétablir la parité, au-delà d’ailleurs des frontières de l’industrie.
Et aussi parce que sont présentées dans le guide en question des initiatives, certes d’envergures et de profondeurs variées, mais illustrant un élan des entreprises, comme une prise de conscience autour de ces sujets. Quelques exemples :
Janssen qui passe le congé paternité à 8 semaines et ouvre une salle de lactation pour que les mamans puissent tirer leur lait en intimité,
Le programme EVE de Danone favorisant de leadership et l’ascension des femmes dans l’entreprise,
Les kits de sensibilisation anti-sexisme créés à l’attention des chefs d’équipe, managers, RH chez EDF,
Le jeu Cap Diversité mis en place par Arkema,
L’initiative #StOpE contre le sexisme ordinaire en entreprise,
Le Guide (téléchargeable ici) « L’égalité professionnelle, mon entreprise s’engage », élaboré par le Laboratoire de l’égalité en partenariat avec le Ministère du travail.
Lors d’un échange parfaitement galvanisant, Corinne Hirsch, experte égalité professionnelle et Vice-présidente du Laboratoire de l’égalité, a attiré mon regard sur plusieurs raisons de rester optimiste. Depuis une dizaine d’années, les entreprises disposent des leviers de l’égalité. Certaines les ont pris en main et ont intégré le fait que l’absence d’égalité femmes-hommes est un challenge systémique. L’engagement des directions est en tout premier lieu nécessaire, mais n’est pas suffisant. Doivent être engagés et promus concomitamment :
Des processus RH plus inclusifs (critères à l’embauche, accès à la formation, attribution de primes, détection des hauts potentiels, détection de potentielles discriminations involontaires, etc.)
Des processus de management facilitateurs de l’égalité au travail (terminer à 20h30 tous les soirs ne devrait jamais être pris en compte comme critère d’ambition en entreprise.),
Une sensibilisation permanente et généralisée dans les entreprises contre les stéréotypes liés aux sexes (mettre en place des statistiques concrètes, éduquer les collaborateurs à ce que ce sont des comportements discriminatoires, les responsabiliser),
La prise en compte des équilibres entre la vie personnelle et la vie professionnelle,
Une lutte inconditionnelle contre le sexisme sous toutes ses formes, comme il est d’ailleurs prévu par la loi,
La formation (réelle) des dirigeants sur les sujets de l’égalité au travail, les impliquer, les encourager,
Un profond travail d’empowerment des femmes, à tous les niveaux de l’entreprise, mais aussi en dehors de l’entreprise (organisations académiques, institutionnelles, gouvernementales, associatives).
Ces piliers sont porteurs de perspectives de changement de culture collectif, et nous devons toutes et tous militer pour l’accélérer, à notre façon, avec des bases de compréhension commune de ce que représente le féminisme appliqué au monde de l’industrie.
« Est-ce que les entités dirigeantes et politiques font semblant de vouloir faire évoluer les choses dans ce domaine ? »
✍ J’ai posé cette question à Guy Mamou-Mani, co-Président du Groupe Open. Il a accepté de me répondre.
Je travaille sur la question de la mixité et la parité depuis plus de 10 ans. Aussi bien dans mon entreprise Open que dans mes fonctions sociétales comme Président du Syntec Numérique (2010-2016), Vice-président du Conseil National du Numérique (2016-2017), co-fondateur du mouvement #JamaisSansElles... Cela m’a donné l’opportunité de travailler avec les pouvoirs publics sur ces questions en rencontrant 3 présidents de la République, de nombreux ministres, parlementaires, …. avec qui j’ai abordé ce sujet. J’ai constaté beaucoup de bonne volonté pour la plupart d’entre eux. De plus de nombreuses déclarations de tous bords viennent renforcer la légitimité de cette question. Font ils semblants où y a-t-il d’autres raisons à la lenteur du changement ?
Je crois pouvoir dire qu’indépendamment de leur positionnement politique la grande majorité d’entre eux sont sincères quand ils annoncent vouloir faire progresser les choses en ce domaine. Quand Emmanuel Macron signe l’engagement #JamaisSansElles au cours de sa campagne ou qu’il décrète que l’égalité femmes-hommes sera une grande cause du quinquennat, il pense pouvoir changer la situation. Je pense que la principale raison est qu’on ne peut pas se contenter de déclarations d’intention. Les seuls résultats concrets et rapides ont été obtenus sur la composition des Conseils d’administration des entreprises grâce à la loi Copé-Zimmermann et sur l’index d’égalité salariale qui a permis de mettre en visibilité les entreprises les plus vertueuses sur le sujet. En conclusion, pour paraphraser Pierre Reverdy il n’y a que des « preuves d’amour » et si les politiques souhaitent vraiment qu’il y ait un réel changement il est nécessaire de passer par des mesures de ce type tout en tenant compte de la faisabilité de leur application par exemple en différenciant les secteurs.
👫 Je conclurai sobrement en vous invitant à visionner ce reportage publié hier, et vous dis au mois prochain. 😘