L'industrie : cette star presque oubliée
Les 40 ans de désindustrialisation de notre pays ne sont certes pas responsables de tous nos maux, et pourtant les discours actuels semblent ne plus parvenir à dissocier industrie et relance.
La magazine Stratégies affichait début janvier une une (non, ça n’est pas une faute de frappe) 100 % féminine, mettant en exergue deux actrices incontournables de la relance dont on parle tant : Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences Po et Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée à l’industrie, cette dernière nous ayant déjà fait l’honneur de nous partager ici sa vision des enjeux industriels actuels.
La présence en une d’Agnès Pannier-Runacher induit naturellement une place forte pour l’industrie au cœur de la relance économique. Lorsque l’on sait qu’un emploi direct dans l’industrie génère trois ou quatre emplois indirects (un ratio sans équivalent), pas besoin d’en dire beaucoup plus. Aussi, cette une résonne avec le mouvement #PariteEco (lancé par le collectif Digital Ladies & Allies et le réseau business féminin Bouge Ta Boîte) sur les réseaux sociaux, exigeant une relance paritaire, largement au-delà de l’industrie d’ailleurs.
Mais alors, quelle place pour cette industrie qui n’a fait que nous glisser des doigts au cours des quatre décennies passées ? Est-ce que 2021 changera vraiment la perception, le potentiel et tout simplement notre manière de penser l’industrie du futur ?
Comme bien souvent, lorsque j’ai une question sur le sujet, et que mes capacités intellectuelles ne me permettent pas d’y répondre à moins de passer 15 heures à la bibliothèque, je me tourne vers Anaïs Voy-Gillis, Docteure en géographie à l’Institut français de géopolitique et co-autrice de « Vers la renaissance industrielle ». Je lui ai proposé de répondre à cette question par l’intermédiaire d’une tribune, que je vous partage ci-dessous.
Bonne lecture ! 📚
📝 Une tribune exclusive d’Anaïs Voy-Gillis pour #Industry4Good
2021, année de l’industrie ?
Il aura fallu une pandémie, doublée d’une crise économique, pour faire revenir avec brutalité la question industrielle sur le devant de la scène. En effet, la crise a eu un rôle de catalyseur et a montré les limites du modèle d’une société post-industrielle où le fait productif est confié à des pays tiers. Les maux et les risques associés, dont certains semblent à peine prendre conscience, ont pourtant été largement identifiés ces dernières années, notamment dans le rapport Gallois.
Ainsi, dès mars 2020 devant le constat des pénuries en masques et gel, nombreux ont été les appels à reprendre notre destin en main et à reconquérir une partie de notre autonomie stratégique perdue. Le gouvernement a traduit cela à travers une volonté de relocaliser des activités dans des secteurs jugés clés (santé, agroalimentaire, électronique, matières premières et 5G) et par une politique de soutien au système productif via le plan de relance. Ce souhait se traduit également dans une volonté des consommateurs de privilégier plus les produits français, même s’il existe encore un fossé entre volonté et réalité.
D’une certaine manière, cette volonté relève d’un élan vital pour reconquérir une part de souveraineté que nous avons perdue avec la désindustrialisation et la vente ou la faillite de fleurons industriels français, souvent emblème de l’ambitieuse politique industrielle conduite par le tandem De Gaulle-Pompidou.
Mais l’élan vital est également lié au fait que notre pays souffre de multitudes fractures, illustrées notamment par le mouvement des Gilets jaunes et que nous peinons à reconstruire un projet national fédérateur.
2020, il est vrai, a permis de gagner des batailles notamment sur le plan idéologique et symbolique, mais la route pour faire renaître une industrie nationale puissante est encore longue, sinueuse et complexe. Notre industrie souffre de faiblesses dont un sous-investissement chronique dans la modernisation de nos sites de production et dans la R&D, à un moment où les industriels du monde entier vont chercher à exporter leurs produits pour pallier le tassement des demandes internes.
Ainsi, si 2020 a permis de faire renaître une envie d’industrie dans nos territoires, 2021 est une année charnière pour espérer atteindre le but d’une renaissance industrielle durable, ancrée dans les territoires, au-delà des discours et des ambitions politiques.
Les défis qui nous attendent sont collectifs. Faire renaître l’industrie n’est pas l’affaire de quelques industriels ou de quelques élus, mais bien l’histoire d’un collectif qui se met en mouvement derrière son industrie. Nulle industrie nationale sans une demande forte : publique par la commande publique, privé par l’évolution des politiques d’achat des entreprises en faveur de la structuration d’écosystèmes locaux et par l’évolution de nos comportements individuels.
Le premier enjeu de 2021 va être de surmonter la crise dont l’issue est incertaine et donc certains secteurs industriels mettront plusieurs années à se relever. Autrement dit, soit nous arrivons à renforcer le tissu productif existant, à implanter de nouvelles activités en France et à attirer des capitaux étrangers, soit nous risquons de passer irrémédiablement dans une situation où l’industrie pèserait moins de 10 points de PIB. L’enjeu de cette renaissance industrielle est aussi de transformer notre système dont la crise a montré l’essoufflement.
Pour faire renaître cette industrie, il faut impérativement investir dans la modernisation de notre outil productif, notamment pour répondre à l’évolution de la demande et réduire l’impact environnemental des productions.
Les briques technologiques de l’industrie du futur offrent des réponses pour améliorer la productivité et la compétitivité de nos sites. Il ne s’agit pas uniquement de robotiser, mais également de revoir les procédés de développement de nouveaux produits pour gagner du temps et réduire les besoins en matière, d’améliorer les opérations de maintenance, de mieux suivre les paramètres influents de production, etc. L’industrie du futur offre une multitude de solutions à qui veut chercher des leviers d’amélioration des procédés et souvent pour des investissements relativement modiques. Bien entendu, la data joue un rôle clé dans cet objectif.
Le deuxième sujet est l’innovation et la recherche de nouveaux avantages comparatifs, en premier lieu par rapport à nos voisins européens. Le déséquilibre de la balance des paiements n’est pas que le fruit des délocalisations, mais d’abord celui du déficit de nos échanges au sein de l’Union européenne. À travers cette question se pose notre capacité à exporter et à renforcer notre présence internationale qui tend à s’effilocher quand celles de certains de nos partenaires européens se maintiennent. La crise oblige à sortir des sentiers battus pour développer des produits et des procédés de production réduisant drastiquement l’impact environnemental.
La crise va être un accélérateur des transformations de notre société et risque de laisser nombre de nos concitoyens sur le bord de la route. Former est une urgence.
Former aux métiers dont nos industriels ont besoin, notamment quand on parle d’usines de plus en plus digitales. Ce sujet sous-entend la capacité à attirer ces compétences dans les territoires où sont nos usines et qui souffrent souvent d’un déficit d’attractivité. Les industriels et les collectivités territoriales doivent travailler main dans la main pour résoudre ce défi d’attractivité. Certains le font déjà très bien et peuvent partager leur expérience. Sans cela, il ne sera pas possible de répondre à la dynamique de reterritorialisation des productions. Il faut également former aux métiers historiques et qui sont en voie de pénurie. Il faut mettre tous les moyens en œuvre pour que cette crise n’aboutisse pas à une nouvelle destruction massive de nos compétences collectives.
Revoyons également nos manières de produire et de vendre. Dès à présent, il faut repenser le cycle de vie du produit et chercher à réduire son impact environnemental de l’extraction des matières premières jusqu’à son recyclage. Cette démarche nous oblige à penser le produit dans l’ensemble de sa chaîne de valeur et non uniquement à l’échelle d’une étape ou d’une unité de production. En outre, les produits de demain ne seront plus uniquement des produits, mais répondront à des usages avec des services associés. Il faut également envisager une production à la demande ou très personnalisée. Toutefois, cette logique vient rompre avec la logique de la massification de la production pour absorber les coûts fixes et appelle donc à repenser les modèles économiques. De la manière, il faut surement sortir d’une logique uniquement en coût d’acquisition pour raisonner en coût total de possession pour les entreprises et en coût d’usage pour le particulier. Il faut également partiellement remettre la nature au cœur de nos usines : végétaliser les usines, recréer de la biodiversité, dépolluer les sols, etc.
Enfin, en 2021, il y a également une bataille européenne à mener. Une bataille pour repenser les traités européens, mais surtout une bataille pour réintroduire de l’équité dans les échanges internationaux. Si nos industriels investissent pour réduire leur impact environnemental, alors il faut penser des mécanismes aux frontières européennes qui les favorisent face à des entreprises qui privilégient les produits moins-disant sur le plan social ou sur le plan environnemental. Il ne s’agit pas de protectionnisme, mais d’une meilleure prise en compte des intérêts économiques du continent. L’Union européenne doit également s’inscrire comme une troisième voie en pensant des projets européens d’avenir, en s’inscrivant dans la bataille réglementaire ou soutenant les industries qui jouent le jeu de la transformation de notre société vers un modèle plus soutenable.
Outre la pandémie, 2021 sera également marquée par la campagne des élections régionales et celle de l’élection présidentielle où les sujets de l’autonomie, de la souveraineté, de l’avenir des territoires, mais également de l’emploi seront clés. Ainsi, en 2021, nous devrons nous accorder sur l’industrie que nous souhaitons bâtir et au service de quel projet de société ? On ne pense pas le même projet industriel en fonction des buts que l’on poursuit. Ainsi, si la renaissance industrielle peut répondre à un enjeu de souveraineté, elle doit également répondre à un enjeu de cohésion des territoires et jouer un rôle dans la transformation en profondeur de notre société.
La crise a fait renaître une envie de produire, d’inventer et d’innover en France. C’est cette envie qui avait conduit à la Caravelle puis à l’Airbus, au TGV ou encore au programme nucléaire. Ainsi, si la question des chiffres est importante, celle du symbole l’est encore plus.
Produire en France, c’est se réaliser et redonner des perspectives à notre pays. Collectivement, nous devons réapprendre à construire de grands rêves collectifs au service de la transformation de notre monde.
Alors attaquons cette décennie sans naïveté, mais avec optimisme, volonté, ambition et une pointe de radicalité.
Pour suivre Anaïs Voy-Gillis sur Twitter, ça se passe ici.
Je vous invite également à vous procurer l’excellent ouvrage « Vers la renaissance industrielle » (co-écrit avec Olivier Lluansi, associé chez PwC) qui m’a beaucoup aidé dans mes recherches.
La prochaine édition traitera d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : « Notre pays est-il toujours une terre de disruption industrielle ? ». Je ne vous en dis pas plus, mais nous allons recevoir encore une fois des invités exceptionnels . J’ai hâte de vous partager tout ça… 🏭
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