#Industry4Good : « tout schuss » sur Substack
Pour cette première newsletter : un édito par les auteurs de « Vers la Renaissance Industrielle », du décryptage, de l'histoire de la souveraineté numérique, et une interview exclusive de Tariq Krim.
Ça y est, je me lance. Inspiré par mes pairs de la communauté Airparty, j’ai décidé de créer ma propre newsletter sur l’industrie d’aujourd’hui et de demain. Je ne vous en dis pas plus, à vous les studios, c’est parti pour la toute première édition d’#Industry4Good.
Édito — « #Industry4Good ? #Tech4Good, ne suffirait donc pas ? »
Un édito co-signé par Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi, autrice et auteur du livre « Vers la Renaissance Industrielle » publié chez Marie B. Un immense merci à eux.
Si reprendre le concept #Tech4Good, lié à la start-up nation popularisé par Dan Senor et Saul Singer, cité plusieurs fois par le président Emmanuel Macron, permet d’envoyer un signal positif à l’économie, le risque est de passer à côté de pans entiers de la population. Il n’a pas permis de créer un imaginaire partagé, surement parce qu’il renvoie encore trop à une économie du numérique et métropolitaine et moins à l’histoire et à la culture de notre pays et de ses territoires.
L’imaginaire permet de créer une atmosphère propice à l’innovation, de relier un futur rêvé et un héritage assumé, de faire se rejoindre ceux qui se projettent dans un monde globalisé et qui pourraient vivre indifféremment à Paris, New-York ou ailleurs et ceux qui résident dans un territoire, avec une difficulté à le quitter et souvent le sentiment d’être restés sur le quai, laissés pour compte des grandes évolutions récentes.
Reconstruire un imaginaire autour de l’industrie est urgent. Pourquoi l’associer à #Industry4Good ? L’industrie est un levier pour garantir la souveraineté d’une nation dans un contexte de retour des puissances sur la scène internationale et où la crise exacerbera les tensions et les égoïsmes. Dans cet environnement incertain et instable, il est nécessaire d’avoir une base industrielle solide, des équilibres commerciaux et d’assurer une indépendance technologique.
Plus essentiel encore, le besoin de refaire nation est omniprésent. Les excès de la mondialisation ont accentué la fracture sociale et la fracture territoriale comme l’a mis en évidence la crise des « Gilets jaunes » ou encore la montée du vote pour les partis extrémistes.
La promesse d’une industrie qui réintégrait nos territoires avec tout son bagage technologique dans la trajectoire de transformation de notre pays, est une promesse de cohésion entre des France qui aujourd’hui s’opposent.
Enfin et surtout, on associe souvent industrie et modernité. Or, ce lien a été dévoyé pendant un temps et l’industrie s’est vue marquée par le sceau de la production et de la consommation de masse et d’une prévarication des ressources naturelles pour permettre cette production. L'industrie, ce n'est plus cela ! C'est d'abord un ensemble de savoirs et de savoir-faire qui permettent de transformer la matière et l'énergie (comme l'artisan), mais aussi de gérer le nombre, le volume et la complexité dans de fortes contraintes économiques.
Sans ces savoir-faire, comment répondrons-nous aux enjeux du réchauffement climatique, de l'économie circulaire, des matières biodégradables ou encore des économies d'eau et d'énergie ? En ce sens, il faut sortir de l’opposition entre industrie et environnement, elle est obsolète. Sans nier les impacts du passé, pour relever les nombreux défis climatiques et environnementaux à venir, nous avons besoin d’industrie et d’industriels.
Dépassons l’image éculée d’une industrie sale, has-been, emblème des fermetures, des licenciements et des relégations sociales. Nos usines, les femmes et les hommes qui y travaillent, les métiers qu’ils exercent, les transformations qu’ils vivent, les équipes qu’ils forment, les technologies qu’ils mettent en place, bâtissent des histoires qui font sens. Il est nécessaire de réintroduire une part d’onirisme dans l’industrie. Par conséquent, nous nous associons dès à présent au drapeau de #Industry4Good comme l’emblème onirique d’une industrie qui a besoin de s’extirper de sa gangue fordienne, de faire sa métamorphose digitale et servicielle. L’industrie est à la veille d’une renaissance aussi profonde que celle qui toucha les beaux-arts du XV au XVIIème siècle.
Aidons son porte-parole, Aurélien Gohier, notre évangéliste digital, notre touche-à-tout (slasheur) de talent, mais surtout touché par la grâce de l’industrie, à hisser haut et fort cet onirisme !
Inutile de vous dire que j’ai été particulièrement touché par ces encouragements… Merci à Anaïs, Docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique et consultante sur les sujets industriels et à Olivier, (notamment) ancien Conseiller industrie et énergie à la Présidence de la République, pour leur disponibilité et pour la pertinence de leurs propos. Allez, on se reprend, et on enchaîne.
Sale temps pour la souveraineté numérique
On parle énormément de la nécessité pour la France et l’Europe de s’émanciper des US en matière de numérique. Le dernier article de Tariq Krim (brillant encore une fois) en parle très bien.
Des initiatives émergent visant à donner à l’Europe l’indépendance numérique qu’elle mérite sont certes menées (Gaia-X, le cloud souverain en France poussé par Bruno Le Maire), mais surtout malmenées :
Deux jours après l’annonce de la Deutsche Bank, c’est Renault qui annonce le 9 juillet s’associer à Google pour accélérer la transformation de son modèle industriel.
Au mois de juin, c’est l’État français qui annonce recourir à Microsoft Azure pour héberger l’application Health Data Hub. Face aux vives critiques, Cédric O. annoncera finalement le recours à un appel d’offre.
Le nouveau gouvernement qui se reforme sans ministère du numérique doit-il être perçu comme une maladresse ou un symptôme de la culture numérique que les entités dirigeantes de notre pays n’a pas.
Quand j’ai lu cela, j’ai repensé aux récents propos d’Aurélie Jean dans une récente tribune sur Le Point : la souveraineté numérique est beaucoup plus politique que technique. Certes, elle évoque qu’aucun d’acteur français n’est en mesure de proposer les technologies proposées par Microsoft dans leur ensemble, mais elle partage que atteindre la souveraineté numérique demandera un peu plus d’audace à l’avenir.
« On peut, par exemple, envisager de revoir les spécifications en s’appuyant sur un calendrier d’implémentation plus souple. Le Health Data Hub serait alors opérationnel plus tard, dans quelques mois. »
Selon Louis Naugès, expert reconnu du Cloud, Renault a fait preuve de courage et a pris ses responsabilités dans une période de crise qui pourrait avoir des conséquences terribles sur la pérennité du groupe automobile français. Il souligne en complément que Renault n’est pas la seule entreprise dans ce cas, évoquant Volkswagen et Amazon (AWS).
Transformation ne rime pas (bien) avec improvisation
Un des constats majeurs que l’on peut tirer de ces épisodes, mais aussi de l’élan numérique face à la crise Covid : la transformation d’un modèle d’entreprise grâce au numérique ne s’improvise pas, ou s’improvise mal.
Encore une fois, on panse la transformation au lieu de la penser. Le fait que Renault fasse un tel choix stratégique en pleine période de crise est tout à fait symptomatique du manque plus que relatif de réactivité de nos industriels pour enclencher la transition vers un modèle industriel tourné vers l’avenir.
De manière tout à fait candide, je vous pose la question : comment est-il possible qu’il ait fallu attendre une menace sociale et économique d’une telle ampleur pour qu’un groupe comme Renault acte l’évolution informatique et industrielle de ses processus de conception et fabrication ?
Sous-texte : est-ce que si les grands groupes prenaient ce type de décisions dans un contexte moins urgent ils opteraient pour des technologies françaises, ou a minima européenne ?
En creusant le sujet, on finit être tenté de bégayer une conclusion un peu nulle du type : « Nan mais c’est un peu plus compliqué qu’on veut bien le croire, you know… », comme l’a un peu bégayé d’ailleurs la direction IT industrielle de Renault lorsque l’Usine Digitale leur a posé la question du choix de Google Cloud comme pierre angulaire de la gestion de leurs usines du futur :
« Nous ne cherchions pas uniquement un fournisseur d’infrastructure Cloud mais également un acteur qui a la capacité de fédérer toutes nos initiatives. »
— Industrie CIO / Eurasie CIO chez Groupe Renault
Sous entendu : « Vous êtes bien gentils avec vos solutions françaises, mais la survie de notre entreprise dépend de notre capacité à nous transformer maintenant, pas dans 6 mois. »
Comme ce constat me laisse un peu sur ma faim, j’ai demandé de l’aide à Tariq Krim, un des entrepreneurs français emblématiques d’Internet.
« Je ne pense pas qu'il y a de retard en France. Il y a juste une forme de paresse intellectuelle. »
Tariq Krim est entrepreneur, fondateur de Netvibes, Jolicloud et polite.one. Il est l’ancien Vice-président du Conseil National du Numérique.
AG : Tariq, est-ce que vous pouvez m’aider à décrypter les choix de Renault, de la Deutsche Bank, de Bpifrance et du Health Data Hub. Il me semble presque trop facile de leur taper sur la tête, sans essayer d’aller un peu plus loin dans la compréhension de leur choix, de leurs contraintes.
TK : La souveraineté numérique personnelle, celle sur laquelle je travaille avec polite.one, c’est la possibilité de reprendre le contrôle de sa vie numérique qui est fragmentée sur diverses plateformes. Mais aussi être capable de déplacer ses contenus d’un service à l'autre. C'est ce que l'on appelle le droit à la portabilité des données, qui est garanti au niveau européen par le RGPD.
Pour les PME, l’enjeu est différent. Il faut à la fois rester maître de sa politique de données, mais également pouvoir construire une infrastructure qui pourra être déplacée ailleurs si besoin. Mais c’est devenu très difficile, car les plateformes d'hébergement font tout pour garder leurs clients captifs.
En ce qui concerne les États et les très grandes entreprises, les besoins de sécurisation sont tout autres, car elles sont la cible d’autres États. Il est essentiel de contrôler l’intégrité de l’infrastructure, donc souvent de mettre en oeuvre son propre hébergement, ou de le déployer dans un endroit « ami » en termes de législation.
Ce que nous a « appris » l’affaire Snowden ou la guerre froide technologique entre l’Amérique de Trump et la Chine, c’est que les grandes plateformes ne sont pas neutres politiquement. Cela a toujours été le cas, mais avant il y avait une ambiance plus feutrée.
La question ne concerne pas uniquement le transfert de données sensibles, mais également le profilage algorithmique des employés ou des citoyens. Les réseaux sociaux sont capables de dresser un profil psychologique quasi parfait des individus.
Un article de Wired a récemment expliqué comment le pillage systématique des données des citoyens américains par la Chine donnait à ses services de renseignements une avance incroyable dans leurs opérations. On parle de dizaines de millions de profils analysés. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle TikTok vient d’être interdit en Inde.
Beaucoup de politiques et de chefs d’entreprise réfléchissent comme si nous étions encore dans l’Amérique d’Obama. L’affaire Alstom et la vente des turbines qui équipent nos centrales nucléaires à l’américain GE dans des conditions douteuses auraient dû servir d’alerte.
« L’Internet est un espace militarisé : il suffit de voir Eric Schmidt, ancien patron de Google, conseiller le Pentagone pour bien le comprendre. Le Cloud Act qui permet l'accès aux données hébergées chez les plateformes américaines n'est que la traduction juridique de cet état de fait. »
Pour toutes ses raisons, Le Health Data Hub, Bpifrance et bien d'autres services ne peuvent pas être hébergés chez les GAFAM. Il y a 10 ans, cette idée aurait été impensable. La question que je me pose c'est pourquoi cette doctrine a changé et surtout qui l'a changée ?
Dans le cas de Renault, il s'agit d'une entreprise privée, donc la décision leur appartient. Pourtant ça semble difficilement compréhensible. Sauf si, comme je le pense, Renault espère se vendre à Google dans les 5 à 10 ans. Renault est déjà intimement mêlé à Waymo, le système de navigation sans pilote de Google. Je ne vois pas d’autres raisons à ce rapprochement.
En coulisse je pense que de nombreux fleurons français sont en train de négocier leur vente ou mettre en place des partenariats stratégiques avec les grandes plateformes US. Certaines personnes au cœur de l'État paniquent, d'autres l'ont cyniquement accepté et sont prêtes à faciliter les deals.
A.G : Est-ce que le manque d’anticipation et de culture numérique en France est pour vous la raison principale de ce rush subi vers les technos US ?
T.K : La France et l'Europe ont perdu leur capacité d'imagination. Le choix du nucléaire par exemple, est un choix d'autonomie que nous avons fait seul et qui a été un succès.
Dans le numérique nous devrions nous écarter de la vision de la Silicon Valley pour construire autre chose. Mais tant qu'au sein du gouvernement et des administrations les ingénieurs seront remplacés par des profils de « consultants » fascinés par le marketing des boîtes américaines, rien ne se passera.
A.G : Est-ce que les solutions françaises (voir européennes) peuvent être au niveau dans 12 à 18 mois selon vous ?
Je ne pense pas qu'il y a de retard en France. Il y a juste une forme de paresse intellectuelle. Par exemple ces dernières années, l'IA est devenue une nouvelle religion du business.
« Certains grands patrons espèrent que leur business se mettra à croître de manière magique grâce à ces technologies. »
Hélas, l'incantation n'est pas une méthode de gestion des entreprises efficace. Pour réussir dans le numérique, il faut maîtriser toute la chaîne de technologies et cela demande beaucoup travail.
A.G : Commentaire sur l’absence d’un Ministère du numérique ? Idem, tout le monde hurle au scandale, mais de manière très candide, voyez-vous des raisons fondées d’Emmanuel Macron et/ou Jean Castex à cela ?
T.K : Mes expériences avec Nicolas Sarkozy (eG8) et François Hollande (Conseil National du Numérique) m'ont confirmé qu'en France le numérique c'est surtout de la communication et des éléments de langage : inclusion, code à l'école, haut débit partout. La réalité c’est que les décisions sont prises à Bercy à l'exception du financement des startups, qui est directement géré à l'Élysée avec l’aide du secrétaire d’État Cédric O. Nous verrons bien ce qu’il en est avec ce nouveau gouvernement, mais je n’ai pas beaucoup d’espoir que la souveraineté numérique soit prise avec le sérieux nécessaire.
S’allier face aux géants de la Tech : une affaire qui ne date pas d’hier
Avez-vous déjà entendu parler du « Plan Calcul » sous De Gaulle ?
Mes petites recherches sur la souveraineté numérique m’ont amené à faire un peu d’histoire, et à percevoir à quel point ce sujet de la dépendance technologique ne date pas d’hier.
En 1964, General Electric rachète Bull, seul constructeur d’ordinateurs français, qui manque cruellement de fonds propres à ce moment-là. Ce rachat est une sorte d’électrochoc.
Deux ans plus tard est lancé le Plan Calcul (nom trouvé par un journaliste de l’époque), un plan gouvernemental initié par Charles De Gaulle sur l'impulsion de Michel Debré et d'un groupe de hauts fonctionnaires et d'industriels.
Objectif : assurer l'autonomie du pays dans les techniques de l'information, et paver la voie au développement d’une puissance européenne en la matière.
Dans cet élan est créée la CII, Compagnie Internationale de l’Informatique, qui finira... par fabriquer des ordinateurs américains sous licence. 😅
Relations houleuses entre les actionnaires, copinage avec les US et guerres internes n’auront pas raison du projet, qui sortira de ces épreuves avec une mention assez bien : le développement d’une gamme d’ordinateurs français (les Iris) en plus des machines sous licence US.
C’est tout pour cette première édition de la newsletter. J’espère que cela vous a plu. Si c’est le cas, n’hésitez-pas à aller suivre le compte Twitter @Industry4Good.
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À très bientôt, vous envoyant toute ma reconnaissance d’avoir pris le temps de lire cette première newsletter. 📝🙏
Pour la relance industrielle voir l'étude poussée fait par Pwc et le CNA (Conseil National des Achats) qui propose des pistes sérieuses sur quelques secteurs à prioriser pour la relocalisation en end-to-end (de la préparation du champ au produit transformé pour ce qui est de l'agroalimentaire par exemple). Télécharger le PDF qui va plus loin que les pages web. https://www.pwc.fr/fr/espace-presse/communiques-de-presse/2020/juillet/etude-sur-la-relocalisation-des-achats-strategiques.html
Bravo Aurelien pour ce travail. C'est passionnant, construit, documenté, enrichissant. Hâte de lire la prochaine édition !