Industry4Good revient avec un nouveau format : les Confessions Industrielles 🤫
Pour mettre en lumière l’humain derrière les machines, les idées derrière les rouages, les émotions derrière les décisions. Un nouveau tournant pour la newsletter !
Chères lectrices, chers lecteurs,
Cela fait de longs mois que je n’ai pas pris la plume pour vous écrire ici. Trop longtemps.
Ces derniers mois ont été marqués par de nouvelles prises de fonction au service de notre belle industrie, ce qui a, comme vous pouvez l’imaginer, sacrément impacté mon agenda… Mais une chose me tenait à cœur : ne pas rompre le lien avec cette communauté qui m’est si chère.
J’ai donc cherché une manière de publier plus régulièrement, tout en recentrant cette newsletter sur celles et ceux qui font l’industrie française : ses dirigeantes et dirigeants. Ceux qui prennent des décisions, portent des projets, traversent des crises et innovent au quotidien.
C’est ainsi qu’est né Confessions Industrielles.
👉 Un format authentique, humain et sincère ;
👉 Un questionnaire conçu pour dévoiler les histoires personnelles et les émotions des dirigeants industriels ;
👉 Un regard brut, entre souvenirs, expériences et vision de l’avenir.
Loin des discours formatés, je veux mettre en lumière l’humain derrière les machines, les idées derrière les rouages, les émotions derrière les décisions.
Et pour inaugurer ce format, j’ai eu le privilège d’échanger avec Loïc Hénaff, dirigeant du Groupe Jean Hénaff.
Son parcours est marqué par une attache profonde à l’industrie et à la Bretagne, des moments de doute et de fierté, et une vision lucide et engagée sur l’avenir du secteur.
🔹 Bienvenue dans la première édition de Confessions Industrielles, proposé en collaboration avec Bretagne Développement Innovation.
Bonne lecture !
🔵 Confessions Industrielles #1 – Loïc Hénaff, CEO du Groupe Jean Hénaff
📸 Portrait du confessé
Loïc Hénaff, c’est l’histoire d’un homme qui n’a jamais eu besoin de chercher bien loin pour comprendre ce qu’est l’industrie. Elle était là, autour de lui, dans chaque discussion familiale, dans chaque bruit d’atelier qui résonnait à quelques pas de chez ses grands-parents. Mais ce n’est pas un héritage subi, c’est une histoire qu’il a choisi d’écrire à sa façon.
Il aurait pu s’éloigner. D’ailleurs, il l’a fait. Dans les groupes internationaux pendant 10 ans (dont 3 ans en Australie) où il s’est frotté aux grandes structures et à leurs méthodes. Puis il est revenu, non pas par contrainte, mais par conviction. Car l’industrie, ce n’est pas seulement une affaire de machines et de chiffres, c’est aussi un levier pour un territoire, une façon d’ancrer une entreprise dans son siècle, de lui donner une raison d’être au-delà du produit qu’elle fabrique.
Sous sa direction, le Groupe Jean Hénaff n’est pas seulement restée fidèle à son histoire, elle a aussi su innover et s’ouvrir à des perspectives inédites. Fournisseur de plats gastronomiques pour la Station Spatiale Internationale, acteur engagé dans l’économie locale avec « Produit en Bretagne », initiateur de la démarche « Be Good 2030 », Loïc Hénaff incarne une industrie qui pense loin et agit près.
C’est cette vision qui fait de lui le premier invité de Confessions Industrielles. Parce qu’il représente une industrie qui fait, qui assume, et qui ne triche pas.
Bonne lecture !
💡 Chapitre 1 – Grandir dans l'industrie : une évidence plus qu’un choix
Quel est votre tout premier souvenir lié à l'industrie ?
Un souvenir d’enfant. L’entreprise Jean Hénaff est intimement liée à la famille de mon père. La maison de mes grands-parents jouxtait l’usine. Les discussions tournaient toutes autour de « l’usine ». J’ai le souvenir des mercredis chez ma grand-mère à vivre au rythme de l’entreprise. Pour moi et mes cousins, le site était un formidable terrain de jeux. Le tas de charbon qu’on n’avait pas le droit d’escalader, le parc à matériaux et ses objets bizarres et dangereux.
Quand avez-vous su que vous vouliez travailler dans ce secteur ?
Je n’ai jamais vraiment ressenti de vocation mais j’ai vite réalisé que c’était un univers où l’on faisait, où l’on agissait. C’était concret. Attiré par les arts graphiques en général malgré des études de commerce, je me suis orienté un peu au hasard vers le marketing mais très vite tourné vers le produit avec une orientation packaging plutôt que culinaire. C’est ce que j’ai exercé dans des groupes internationaux où j’ai travaillé (Kraft Foods, Cadbury Schweppes) avant de « rentrer en Bretagne » et de rejoindre l’entreprise familiale pour associer à « l’envie de faire » celle de participer à la vie de la Bretagne.
Si vous deviez raconter votre parcours en trois moments clés, lesquels choisiriez-vous ?
Jeunesse: dans un cadre familial où beaucoup tournait autour de l’entreprise.
Premières expériences professionnelles: des grands groupes avec diverses fonctions de commerce et de marketing et près de trois ans extraordinaires d’expatriation en Australie.
Une (longue) séquence chez Jean Hénaff, l’apprentissage progressif vers la direction générale que je n’avais pas en ligne de mire et la direction depuis plus de dix ans déjà.

Quelle est la plus grande leçon que vous avez apprise au tout début de votre carrière ?
C’était lors de mon service militaire (prolongé) dans la Marine nationale comme aide de camp d’une haute autorité. Il m’a confirmé que l’on ne peut naviguer droit qu’en n’étant honnête avec soi-même et avec son chef.
Depuis j’ai appris qu’il faut aimer son entreprise pour pouvoir y consacrer autant de temps et d’énergie et pour cela il faut qu’elle soit aimable, que sa raison d’être soit belle et défendable, vertueuse si possible et que cela résonne avec ses propres valeurs. Autrement on n’est qu’un mercenaire.
Avez-vous eu un mentor ou une rencontre qui a changé votre regard sur l’industrie ?
Mon père forcément et derrière lui, le reste de ma famille et puis mes patrons successifs. J’ai eu beaucoup de chance: Patrick, Jean-Charles, Lynne, Craig, Andrew, Cécile, Jean-Marc…
J’ai une pensée émue pour Eric Mécrin et Philippe Chancerel.
⚙️ Chapitre 2 – La puissance du terrain : machines, bruit et crises
Qu’est-ce qui vous donne encore des frissons dans votre métier aujourd’hui ?
Le bruit d’une sertisseuse à 250 coups minute… je ne vous dis pas quand il y en a deux l’une à côté de l’autre, lancer un grand projet de développement et surtout chaque projet qui se concrétise, passe la ligne d’arrivée avec succès et nous fait avancer.
Quelle odeur ou quel son vous ramène immédiatement à votre première expérience dans une usine ou un atelier ?
Le bruit des sertisseuses, des convoyeurs, des chariots élévateurs… et celui des fuites d’air comprimé la nuit (qu’il faut chasser car ce sont des fuites d’énergie).
Avez-vous déjà ressenti une émotion forte dans un contexte industriel ? Pourquoi ?
Forcément les moments de crise : départ de feu, incidents techniques majeurs et la COVID bien sûr qui finalement et c’est peut-être difficile à entendre, a été un moment assez exaltant. J’ai rarement autant travaillé et évidemment sans une seule minute de télétravail. Le capitaine d’un bateau dans la tempête, c’est à la barre qu’il doit être, de tôt à tard le soir. Nous avons aussi connu des attaques malveillantes terriblement blessantes.
Quel est l’objet ou la machine qui symbolise le mieux votre carrière ? Pourquoi ?
Une bouteille d’eau aromatisée de la marque AQUAVETA. J’avais mené le projet de A à Z en Australie. Etudes consommateurs, écriture du concept, création de la marque, design de la bouteille avec dépôt de brevet sur une intuition que j’avais eue, design d’une capsule très innovante, plan de lancement commercial jusqu’à la pub TV… Cela symbolise que je me serais intéressé à toutes ces facettes, toutes ces étapes.
Y a-t-il un moment où vous vous êtes senti(e) totalement dépassé(e) ? Comment l’avez-vous surmonté ?
La crise récente de la bio à laquelle nous avons été confrontés. le sentiment que le sol s'effondrait sous nos pieds et de totale impuissance. J’ai cherché des appuis méthodologiques, de l’aide, de la bienveillance de tous les côtés. J’en ai peu trouvé. Cela a eu de graves conséquences pour nous car nous avons fermé un atelier de 35 personnes et réduit nos achats de porcs bio auprès de petits éleveurs locaux très engagés. J’ai surmonté ce moment en réalisant que c’était la seule solution pour ne pas risquer de mettre en péril toute l’entreprise et que mon rôle c’était d’abord ça. Je ne regrette pas même si j’y pense tous les jours.

🚀 Chapitre 3 – Construire l’avenir : innovation et transmission
Si vous deviez expliquer l’industrie d’aujourd’hui à un enfant, comment le feriez-vous ?
C’est là que l’on fait en grande quantité et à prix accessible et décomposant toutes les tâches, ce que l’artisan n’est pas capable de faire car il est trop petit. Nous y arrivons en nous concentrant sur ce qui fait l’essentiel du produit.
Quelle est l’innovation industrielle dont vous êtes le/la plus fier(e) ?
En 2005, nous avons mis en place une forme de traçabilité visible et compréhensible du consommateur sur la saucisse fraîche Hénaff avec les photos des éleveurs sur les barquettes. Nous étions les premiers à le faire en France et surtout ce n’était pas des acteurs. N’oublions pas que la traçabilité est une obligation réglementaire, pas une option. Notre valeur ajoutée c’était de la rendre visible et compréhensible. Pas des codes cabalistiques au verso de l’emballage…
Qu’aimeriez-vous que les gens comprennent mieux sur votre secteur ?
Que nous déployons des trésors d’ingéniosité chaque jour pour faire bien, bon, au prix le plus accessible en gaspillant le moins possible de tout (temps, fatigue, énergie, matières premières…). J’aimerais que les efforts soient reconnus. Notre seule reconnaissance aujourd’hui c’est le chiffre d’affaires de l’entreprise. C’est un peu court pour motiver les troupes. Nous avons donc besoin d’autres victoires… Fabriquer depuis 2011 les plats de cuisine gastronomique de la station spatiale internationale ISS pour le CNES et Alain Ducasse, recevoir Thomas Pesquet dans l’entreprise, être reconnue Entreprise du Patrimoine Vivant, être certifié RSE Bretagne 26000, recevoir les félicitations d’une ONG, ce sont des victoires importantes pour nous.

Quel héritage souhaitez-vous laisser derrière vous ?
J’aimerais me dire que j’ai pu faire rentrer l’entreprise dans son siècle avec les enjeux contemporains de responsabilité économique, sociale et environnementale de demain. En d’autres termes un peu galvaudés mais vrais, l’avoir modernisée, adaptée et musclée pour l’avenir. Ce serait déjà pas mal.
Quelle est la plus grande idée reçue sur l’industrie que vous aimeriez démolir ?
Que grande quantité rime avec piètre qualité. Je n’aime pas ce mot tellement il est galvaudé dans le langage courant. La vraie qualité c’est la « conformité à une exigence » selon Philip Crosby. En aucun cas, qualité rime avec piètre qualité, telle que l’on comprend ce mot en dehors des usines.
Beaucoup de produits de luxe sont très industrialisés et font croire à de l’artisanat; Je suis désolé mais il y a beaucoup de produits que préfère consommer en sortie d’usines alimentaires que chez des artisans que je ne connais pas…

🔥 Chapitre 4 – Moments de vérité : doutes et prises de risques
Quel est le plus grand risque que vous ayez pris dans votre carrière ? A-t-il payé ?
Nous avons fait le choix de la croissance externe il y a quelques années. Cela s’est soldé par une grande réussite, et un échec. Si dans le spatial « failure is not an option », il faut parfois admettre que dans notre monde économique cela reste une éventualité qu’il faut accepter d’emblée. Mon volontarisme s’est heurté à la force des marchés.
Y a-t-il un moment où vous avez pensé à tout quitter ? Qu’est-ce qui vous a retenu(e) ?
Oui et non car j’ai trouvé un sens à ma vie professionnelle. J’ai enfin pris le temps de réfléchir à cela et ma conclusion n’a pas été au point de tout quitter. J’ai toujours eu besoin de faire d’autres choses soit proches de mon métier comme présider le réseau territorial de 500 entreprises Produit en Bretagne, soit en m’impliquant dans d’autres organisations à titre professionnel ou privé. J’ai toujours appris de ces rencontres et projets que j’ai pu mener. Aujourd'hui j’ai envie de m’investir différemment dans l’entreprise pour faire ce que je sais faire de mieux et laisser aux autres la place pour exprimer leur talent. C’est je pense ce qui sera le plus profitable à l’entreprise.

Si vous deviez décrire votre parcours en un mot, lequel serait-il ?
Responsabilité. J’ai toujours essayé de prendre un peu de hauteur pour anticiper le coup d’après et de préparer le terrain en amont. Malheureusement je suis curieux de beaucoup trop de choses alors j’ai un peu tendance à empiler les responsabilités, mais je me soigne.
Qu’est-ce qui vous tient éveillé(e) la nuit ?
Forcément la dimension économique est dominante dans mes préoccupations quotidiennes. L’activité de l’entreprise est diversifiée alors il y a toujours un problème quelque part. Il faut reconnaître que c’est usant. Et puis les tensions humaines bien sûr.
Quelle est votre plus grande peur pour l’avenir de l’industrie ? Et votre plus grand espoir ?
Ma plus grande peur serait que l’incompréhension de notre utilité sociétale perdure. J’aime bien provoquer mes interlocuteurs et je parle souvent « d’industrie de campagne ». Car en fait c’est la réalité. Combien de petits sites font vivre des bourgs, des villages. Évidemment on s’émeut quand ils disparaissent mais c’est trop tard. Il y a peu, un ami déplorant la fermeture d’une entreprise me disait « mais de quoi on va vivre ici? ». Tout est dit. Je crois que certaines de nos élites parisiennes intra-muros n'imaginent pas qu’un jour ils devront s’expatrier pour pouvoir travailler et vivre. Pourtant c’est bien ce à quoi pensent énormément de gens et de jeunes autour de moi.
Je forme l’espoir qu’une génération rejoindra les « industries de campagne » parce qu’elles sont l’avenir d’un territoire, rentrent dans les limites planétaires et sont sources de progrès sociaux.
🎭 Chapitre 5 – Confessions ultimes
Si votre métier était une chanson, laquelle serait-ce ?
C’est une question très difficile. On me rappelle souvent que « Just Can't Get Enough » de Depeche Mode a quelque chose à voir avec nous ;-)
Quelle est la chose la plus inattendue ou drôle qui vous soit arrivée dans une usine ?
Je crois que je ne peux pas tout dire. Mais je me souviens d’une sacrée nuit blanche pour terminer un projet. Il s’agissait de l’ouverture de notre musée en 2007. L’inauguration était prévue à 11h avec le Préfet etc pour ouvrir la journée de notre centenaire. La veille on était loin d’avoir terminé. On a réalisé un sprint pour tout mettre en place.

Si vous pouviez inventer une machine folle, quelle serait-elle et à quoi servirait-elle ?
Cela tournerait forcément autour de la manipulation douce de charges lourdes ou dangereuses. C’est ce qui rend parfois pénibles certains métiers ou postes. Nous avons exploré l’usage des exosquelettes. C’est passionnant.
Avec quelle figure historique aimeriez-vous discuter de l’industrie, et pourquoi ?
Avec Charles de Gaulle car l’industrie doit être au service d’un projet plus grand qu’elle. Aujourd’hui c’est clairement ce qui nous manque. Il n’y a pas de grand projet audacieux qui nous dépasse et qui aille plus loin que le communiqué de presse du prochain. L’industrie a besoin de voir loin, de constance, d’un projet de société.
Vous êtes sur une île déserte : quel objet issu de l’industrie emportez-vous absolument avec vous ?
Cela va vous paraître idiot mais j’emporterais des gants de protection double peau pour pouvoir travailler de mes mains sans me blesser et donc pouvoir construire les conditions de ma survie.

Quel conseil donneriez-vous à votre version plus jeune qui commence tout juste dans ce secteur ?
Je lui conseillerais de rester curieux et de s’intéresser à tous les sujets de l'entreprise même les plus petits car ils ont tous leur importance et puis évidemment de muscler ses compétences sur les notions de durabilité, d’écologie industrielle et territoriale…
Que diriez-vous à un jeune talent qui hésite à rejoindre l’industrie ?
L’industrie c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Et je lui ajouterais que dans l’industrie on a tous les jours la satisfaction d’avoir fait quelque chose d’utile.
En un mot ou une phrase, comment décririez-vous ce que l’industrie a apporté à votre vie ?
Un terrain d’expression « to make it happen »...
Si vous deviez écrire votre confession industrielle en une phrase gravée sur une plaque d’acier, qu’écririez-vous ?
Il y a aura forcément une touche alimentaire car c’est mon univers professionnel depuis le 1er jour « Produire bon, produire bien, produire sain ».
📚 À lire et à voir : les recommandations du confessé
🎥 Reportage « 13h15, le samedi » sur l'industrie bretonne
📖 Relocaliser l'industrie : enjeux et perspectives
🎧 Podcast : Ép. #15 - Comment la Bretagne crée sa propre réindustrialisation ?
Un grand merci à Loïc Hénaff pour sa confiance.
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