Relocalisation de l'industrie : méfions-nous des raccourcis simplistes
La relocalisation : ce sujet qui a la cote, et qui est censé accélérer grâce au milliard d’euros débloqué dans le cadre de France Relance pour rapatrier les usines sur nos territoires. On en parle !
📝 Au programme :
✅ Un édito exclusif de Thierry Weil, Professeur de management de l'innovation à Mines ParisTech, titulaire de la chaire « Futurs de l'industrie et du travail » et conseiller de La Fabrique de l'Industrie
✅ Tribune sur le sujet « Réindustrialisation : manquons-nous d’un fil rouge ? »
✅ « Relocalisons oui, mais stratégiquement », un billet d’Aron Kapshitzer, multi-startupeur, fondateur notamment d’AK Genève.
✅ Analyses et réflexions autour du documentaire : « Relocaliser : le défi français » diffusé par C dans l’air
✅ « Réindustrialisation, souveraineté économique et patrimoine d’innovation » : questions évoquées au cours d’un entretien avec Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, Directeur du cabinet Asteres et fondateur du Cercle de Belém.
📝 Si le sujet vous a plu, et que vous souhaitez creuser celui-ci, Olivier Lluansi et Aron Kapshitzer ont chacun publié une tribune complémentaire exclusive pour #Industry4Good, accessibles ici. Et oui, le débat prend vie ! 👏💯
Remerciements tous particuliers à Anaïs Voy-Gillis, Docteure en géographie, autrice et conférencière autour des sujets de l’industrie et des territoires, et à Aurélie Jean, numéricienne et star française des algorithmes, pour leur soutien précieux.
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Édito
Alors que dans les années 2000 la mode politique était au fabless – faire fabriquer dans les pays à bas salaire et se consacrer en France aux tâches nobles de conception et aux services à haute valeur ajoutée – la crise a révélé les vulnérabilités d’un pays qui avait délaissé son industrie. Nous dépendons du bon vouloir de nos partenaires pour disposer de médicaments et d’équipements de protection indispensables. La nouvelle mode est donc à la relocalisation, censée assurer la sécurité de nos approvisionnements et créer des emplois.
Pourtant, comme le montre notamment une étude récente de La Fabrique de l’industrie :
Il ne faut pas confondre des relocalisations assez anecdotiques avec une très nécessaire réindustrialisation,
La sécurisation de nos approvisionnements critiques ne peut pas toujours être obtenue par la relocalisation, et celle-ci n’est pas toujours la voie la plus adaptée,
L’industrie du futur crée beaucoup de richesse mais assez peu d’emplois directs ; en revanche elle irrigue tout un écosystème dont le développement crée des emplois.
Les délocalisations désignent au sens strict les cas où une unité de production française est fermée pour être recrée dans un autre pays. L’objectif est de bénéficier de coûts inférieurs dans près de la moitié des cas. Mais parfois il est nécessaire d’être proche du consommateur pour fournir des services d’accompagnement, ou parce que les gouvernements l’exigent. Ce n’est pas pour des raisons de coût qu’Airbus produit des avions aux Etats-Unis et en Chine ! Au sens plus large, on parle parfois de délocalisation lorsqu’un donneur d’ordre préfère passer commande à un fournisseur étranger plutôt qu’à un sous-traitant français.
Selon les définitions et les périodes, les délocalisations représentent entre 4 000 à 27 000 emplois perdus annuellement, entre 2 et 10 % des quelque 250 000 emplois créés ou détruits chaque année dans l’industrie. Celles qui ont été motivées par l’accès à des ressources n’existant pas en France ou par des exigences des clients ne sont pas facilement réversibles. Ni celles qui impliqueraient des surcoûts que les consommateurs, français ou souvent étrangers, ne sont pas prêts à payer. C’est pourquoi depuis 2005, le ministère d’industrie dénombre moins d’une vingtaine de projets de relocalisation par an.
Certaines relocalisations, concernant par exemple la fabrication des médicaments, peuvent contribuer à notre sécurité d’approvisionnement. Mais souvent l’autarcie est impossible (pour certaines matières premières) ou n’est pas nécessaire : il suffit de disposer de fournisseurs répartis dans diverses zones géopolitiques et de construire une bonne position de négociation.
Notre problème n’est donc pas de relocaliser en France la fabrication de T-shirts d’entrée de gamme ou de voitures destinées au marché chinois, mais d’attirer et de développer dans notre pays une industrie « haut de gamme » par la performance de ses produits ou l’efficacité de ses processus de fabrication. Cette industrie, très productive, emploie directement des travailleurs de tous niveaux de qualification, en nombre limité – notons cependant que l’emploi dans l’industrie a augmenté depuis 2017 jusqu’à la crise sanitaire. Mais surtout, elle fait vivre de nombreux fournisseurs et crée des richesses et donc une demande solvable pour l’ensemble de l’économie du territoire sur lequel elle est implantée.
Thierry Weil
MINES ParisTech, chaire Futurs de l’industrie et du travail,
Conseiller de La Fabrique de l’industrie
Réindustrialisation : manquons-nous d’un fil rouge ?
La relocalisation de l’industrie : ce sujet qui a chaque jour un peu plus la cote. Mener une relance au niveau local à travers des plans massifs par filière industrielle, favoriser l’emploi, moderniser et décarboner notre outil productif : un tableau séduisant, s’appuyant dans ce contexte sans précédent sur le programme #FranceRelance.
« La réindustrialisation des territoires ne se décrète pas » déclarait Anaïs Voy-Gillis dans une récente tribune sur Mediacités. Et pourtant, les annonces d’Agnès Pannier-Runacher dès juillet dernier sur la mise à disposition d’usines « clés en main » au service de la relance industrielle semblaient vouloir prouver l’inverse. Ces annonces du 20 juillet n’ont été que le début d’une longue série d’initiatives pensées dans l’optique d’une véritable reconquête industrielle.
Tout au long de la documentation de cet épisode m’a parcouru un sentiment de schizophrénie. D’une part, j’ai réalisé être abreuvé d’informations galvanisantes sur l’Eldorado économique et social que doit redevenir l’industrie française. Et d’autre part, une impression assez nette, lancinante, que trop de fausses bonnes recettes sont relayées, dans les médias et surtout sur les réseaux, de manière souvent simpliste, voire manichéenne. Phénomène largement amplifié par la situation désastreuse que vivent aujourd’hui certaines filières industrielles en particulier.
Pour l’instant, on n’en évalue qu’assez peu les conséquences, car les entrepreneurs sont trop occupés à essayer de sortir la tête de l’eau. Une main tendue, un début de solution, aussi imparfaite qu’elle puisse sembler, peut permettre de se projeter sur les 6 à 12 mois à venir, un luxe pour beaucoup. Les dirigeantes et dirigeants de notre tissu de TPE et PME industrielles n’ont pas le temps de philosopher. Mais quid de la suite ?
Nos dirigeants ont prouvé dès les prémices de la crise qu’ils étaient en mesure de multiplier les initiatives de relance industrielle. Mais aussi bénéfiques qu’elles puissent être, un fil conducteur semble parfois manquer.
La création d'un Haut-Commissariat au Plan et à la Prospective par le gouvernement confirme cette envie de mettre à mal le sentiment de doute économique, politique, social qui plane au-dessus de notre pays. Pour la petite histoire, le Commissariat au Plan a déjà existé de 1946 à 2006, puis supprimé. Il renaît de ses cendres en 2020 : est-ce bien anodin ?
Le gouvernement français est souvent accusé d’avoir la fâcheuse tendance à répondre à des problèmes profonds en créant soit une nouvelle taxe, soit une nouvelle entité politico-communicationnelle. Ses détracteurs ont dû se lécher les babines à l’annonce de la nomination de François Bayrou au poste de Haut-Commissaire au Plan pour penser la France de 2030. La suradministration n’est-elle pas usuellement considérée comme un ennemi du changement ?
« On a un problème d’élites dans ce pays : ils réfléchissent de traviole, Madame »
— Arnaud Montebourg à Caroline Roux (C dans l’air)
Quand le gouvernement annonce un investissement de 7 milliards d’euros dans la création d’une filiale hydrogène, on se rapproche un peu du vrai sujet, relocalisation ou pas.
Méfions-nous des grandes terminologies médiatiques, car contrairement à ce que l’on entend dans les médias, la souveraineté, ça n’est pas juste une affaire de production industrielle. Si demain nous étions en mesure de nous auto-suffire, mais que la majorité de nos infrastructures web et données sont gérées les GAFAM, peut-être aurons-nous juste déplacé notre dépendance.
« Relocaliser : le défi français »
Vous avez peut-être vu passer ce documentaire réalisé dans le cadre de l’émission C dans l’air. Celui-ci dure une heure et demie, et est suivi d’échanges en plateau entre Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS, Fanny Guinochet, journaliste et chroniqueuse sur franceinfo, Soazig Quéméner, Rédactrice en chef politique chez Marianne et Nicolas Bouzou, économiste, Directeur-fondateur d’Asteres.
J’ai listé quelques questions très simples qui reviennent systématiquement autour du sujet, que ce soit sur les réseaux ou sur les plateaux TV.
✅ « Pourquoi une entreprise qui a délocalisé sa production au Maroc il y a 10 ans relocaliserait en France maintenant ? »
Un scénario peu imaginable dans le contexte actuel, comme l’explique en substance Thierry Weil dans son édito. Isabelle Méjean, lauréate en 2020 du prix de la meilleure jeune économiste, défend d’ailleurs le terme « localisation » plutôt que « relocalisation ».
Dans l’idée de relocalisation, il y a l’idée d’activités qui auparavant étaient produites en France et qui ont été déplacées, souvent dans des pays émergents dont le coût du travail est moins élevé, qu’on essaierait finalement de rapatrier en France.
— Isabelle Méjean, économiste, professeure CREST-Ecole Polytechnique.
Un exemple représentatif : le textile. On produit très peu de textile en France, ou alors sur des niches comme le luxe. Fabriquer du textile est une activité très intensive en travail. Rapatrier ce type d’activités ne ressemble en rien à une solution. Et à vrai dire, le coût chargé du travail en France (le plus élevé en Europe) et les coûts réglementaires associés rendent ce scénario peu probable. Dans l’ordre économique actuel, certains pays ont des avantages compétitifs en particulier sur des activités intensives en main d’œuvre, d’autres sur des activités intensives en capital, en technologies, en travail qualifié.
Le terme « localisation » est intéressant, car il induit de se focaliser sur l’attractivité de nos territoires, sur leur capacité à créer de l’emploi dans des industries synonymes de travail qualifié et d’innovation technologique comme l’aéronautique, le matériel de transport, la chimie, la pharmacie.
✅ « Est-ce que l’État soutient suffisamment nos entreprises ? »
« Est-ce qu’Air France peut disparaître ? Une entreprise, lorsqu’elle est soutenue par l’État comme les entreprises sont soutenues aux US, comme l’Allemagne soutient Lufthansa, elle ne disparaît pas. »
— Grégoire Aplincourt, Président du Syndicat des Pilotes d’Air France
Cette phrase cristallise un débat profond, qui divise, autour du concept-même d’État providence. On se souvient d’articles évoquant un soutien trop timoré à l’économie par le gouvernement, et allouant des aides plus faibles que ses homologues européens. Alors certes, le cas d’Air France est mal choisi quelque part, car tellement particulier. Mais quand même. De manière très candide, c’est toujours perturbant pour le commun des mortels d’entendre ce genre de phrases quand l’État annonce débloquer 100 milliards d’euros (dont seulement 80 pèseront dans le budget pour rappel) pour la relance et répond présent sur le dispositif PGE notamment.
Lorsqu’en 2013 Arnaud Montebourg intervenait auprès des entrepreneurs français en leur demandant de relocaliser leurs activités, on l’accusait de confondre souveraineté industrielle et autarcie, le taxant d’interventionnisme et de manque d’ouverture au nouveau monde économique.
Tenter de comprendre le rapport des industriels et citoyens français à l’égard du concept-même d’interventionnisme d’État, c’est plonger au cœur d’une matrice. Et là, pas de pilule bleu au menu. Un sujet dans le sujet. Je passe mon tour.
✅ « Relocaliser oui, mais relocaliser quoi, et à quel prix ? »
Quelque chose de pas cher qui n’est pas disponible, ça ne sert à rien, nous serons tous d’accord là-dessus. En réponse à ce phénomène, le mouvement des makers aura rarement été aussi visible que pendant la crise Covid. Masques, respirateurs : la façon dont les entrepreneurs se sont mobilisés pour combler une partie de nos besoins est impressionnante. Sujet d’une prochaine édition d’#Industry4Good ?
« Relocaliser oui, mais entendons-nous : il ne s’agit pas de relocaliser la production de produits plastiques bas de gamme. » explique Bruno Le Maire dans le reportage. On comprend bien l’idée : on veut fabriquer des produits à forte valeur ajoutée, l’hydrogène, le lithium et tous les leviers d’innovation à considérer en vue des engagements économiques et environnementaux de 2030.
En parlant de lithium justement : « Je n’arrive pas à comprendre que pour dépolluer les villes ils viennent bousiller nos campagnes avec des usines de lithium » explique un agriculteur portugais dans le reportage. L’installation d’une mine de lithium l’obligerait à quitter ses terres. Horrible n’est-ce pas ?
Mais fabriquer du lithium c’est stratégique pour un pays non ? Du coup, qu’est-ce qu’on fait ? Et bien répondre à cette question, c’est plonger tout simplement dans les profondeurs d’une reconsidération du modèle capitaliste, de la gestion au cas par cas (donc du procédé décisionnel de l’UE), et de la place que l’on choisit d’octroyer à l’Humain dans ce débat. Compliqué ? Oui, c’est ce qu’on vous dit depuis le début !
✅ « Est-ce qu’un patriotisme économique et l’envie de préserver l’environnement seront suffisants pour que les Français acceptent de payer des produits plus chers ? »
Il est important de mettre des mots sur le fait que la perspective d’un 100 % « Made in France » entraînerait forcément une baisse du pouvoir d’achat des Français. Les États-Unis ont réussi pendant une trentaine d’années à maintenir le pouvoir d’achat des citoyens en fabriquant la plupart de ses produits de première nécessité en Chine…
Pour caricaturer : si on parvenait à doubler ou tripler la proportion de vêtements 100 % français, les Primark ne désempliraient pas pour autant, loin de là. Est-ce que produire de l’habillement 100 % français est vraiment stratégique ? Vous me répondrez qu’il faut responsabiliser le consommateur, consommer moins et mieux. Mais regardons-nous en face : acheter un pull à 130 euros, c’est réservé à quelle proportion des Français ?
« Le consommateur est le juge de paix… » évoquait Nicolas Bouzou lors de notre entretien. Mais pourquoi le consommateur porterait le poids de choix qui devraient être faits par nos élites ? « La taxe carbone à l’importation demeure, selon moi, une solution à envisager. » me répond-il. Un levier souvent décrit comme difficile à mettre en place.
✅ « Les délocalisations sont source de suppression d’emplois. »
2 à 10 % des suppressions d’emplois dans l’industrie sont liés aux activités délocalisées. 2 à 10 % que nous ne récupérerions d’ailleurs pas si nous décidions de tout relocaliser maintenant, puisque beaucoup de ces activités seraient robotisées. Et oui, relocalisation et robotisation cohabitent étrangement bien, les robots comblant le gap de main d’œuvre bon marché que l’on ne trouverait pas en France.
Paradoxalement, d’un point de vue économique, la France n’a pas d’intérêt à survendre la notion-même de relocalisation. Pour résumer : même si nous décidions de TOUT relocaliser demain, cela ne règlerait en rien les problèmes d’emploi auxquels nous faisons face, y compris dans l’industrie.
✅ « Mais alors c’est quoi la solution ? »
Plutôt que de s’enliser dans des débats sur ce qu’est une délocalisation, il semble préférable de se concentrer sur ce qui rend notre territoire attractif pour l’industrie, mais aussi sur ce qui rend les métiers de l’industrie, ainsi que les territoires où sont localisées les usines, attractifs pour les Français.
Trois piliers de solutions, selon Élie Cohen :
Diversifier la provenance de nos importations. Sous-texte : ne pas dépendre que de la Chine.
Travail de réflexion autour des stocks de précaution : la France a cruellement manqué de curare au début de la crise, ainsi que de produits majeurs pour la réanimation des patients.
Penser à certaines productions à valeur ajoutée que nous devrions relocaliser.
La combinaison de ces trois leviers, c’est ce qu’on appelle la résilience économique, qui repose sur la combinaison des effets de stocks, la diversification des fournitures, et aussi les perspectives de relocalisation.
« Si une production n’est pas ordinairement assurée en France, mais qu’en cas de besoin des usines du territoire peuvent la réaliser, même avec une productivité médiocre (équipement médical ou de protection, par exemple), un niveau de stock raisonnable peut suffire à garantir notre indépendance. »
— Thierry Weil (source)
« Relicalisons oui, mais stratégiquement »
Le récent mot d’ordre des instances dirigeantes : « Relocaliser la production ! » est en décalage dramatique avec la réalité du terrain et les capacités actuelles françaises. Non pas que la chose soit impossible à faire, mais elle doit être réfléchie et stratégique. C’est un projet qui doit être porté par une vision allant bien au-delà des échéances électorales et des besoins du moment présent.
Parce qu’il fallait trouver une réponse rapide à la crise sanitaire et économique qu’engendrait la COVID-19 ce printemps, le gouvernement a cru bon de lancer l’idée de relocaliser la production de fournitures médicales pour disposer d’une réponse souveraine. Ainsi nous ne dépendrions plus de la Chine et de sa capacité à produire et à livrer, et nous pourrions faire nous-mêmes ces fameux masques…¹
De ce fait, des tas d’entreprises ont été relancées et des startups ont pivoté (se détournant de leur objectif premier) pour profiter de la manne. Et ce sans tenir compte du coût de transformation de l’entreprise, des calendriers de production initialement prévus pour des produits à plus forte valeur ajoutée ou des dépenses en matières premières, qu’il faut acheter et stocker. Parce que certaines entreprises ont pivoté, elles ont utilisé des investissements initialement prévus pour de la R&D à des fins de production d’un produit sans aucune valeur ajoutée. À cela s’ajoute le coût de la main d’œuvre bien supérieur chez nous à celui des pays asiatiques ou les masques sont massivement produits… Bref, pas de planification à l’horizon dans ces relocalisations, juste une réponse à un besoin ponctuel.
Le choix du politique de faire des masques en France a trouvé une réponse lourde et coûteuse, alors que la disponibilité de produits similaires par les canaux internationaux habituels a été rapidement réassurée. Maintenant que les fournitures sont abondamment disponibles sur les marchés, à des prix très compétitifs, quid des entreprises dont la mission a été transformée ? On peut donc se poser la question de la légitimité de ce type de mesures et de ses conséquences.
Relocaliser en France est possible, mais il faut se préparer et mettre en place un véritable plan de bataille.
Ce plan doit tenir compte de nos forces et de nos faiblesses. Depuis les années 1990, la population française est une population majoritairement qualifiée. Nous avons tous (ou presque) au moins un bac en poche et un tiers de la population a un diplôme universitaire². Ce n’est pas un peu trop de diplômes pour au final faire des masques ?
En quoi sommes-nous qualifiés ? Même si les cursus en alternance sont de plus en plus présents, les formations post-bac mettent encore trop l’accent sur la théorie. Comment expérimenter si l’étudiant n’a pas accès aux outils pour des raisons budgétaires ou de sécurité… ? Dès le début d’un cursus en ingénierie, il est essentiel d’établir des heures en ateliers (correctement équipés, cela va de soi) et d’y retourner tout au long du cursus. Il faut redonner au sens pratique des choses sa place au côté de la pensée conceptuelle. Certaines écoles sont équipées de machines mais les portes des ateliers restent fermées aux élèves selon le principe de précaution. D’autres écoles enseignent encore l’informatique sur du papier… Nous devons absolument renforcer l’instruction dans ce sens. Sans cela le débat est d’ores-et-déjà clos.
Choisir ses batailles est le deuxième point : que voulons-nous industrialiser ? Les produits de demain qui pourront assurer une pérennité ou les produits qui sont « hype » sur le moment ? La France, l’Europe et même notre bonne vieille terre sont aujourd’hui un terrain de jeu qui a atteint ses limites, mais il reste tout ce qui se trouve au-dessus de nos têtes. Pendant que nous fabriquons des masques à vil prix, les grandes nations de la conquête spatiale parlent de la manière d’accorder des licences d’exploitation minière sur la lune.³
Quand on parle de retrouver une croissance, voilà un objectif qui en est un véhicule massif.
Vous l’avez bien compris, il ne s’agit pas de relocaliser la fabrication des tapis de sol pour baignoires, mais bien d’un choix de société. En aucun cas nous ne pouvons relocaliser tout, nous devons faire des choix, pour construire ce futur désirable dont nous parlons tant.
Aron Kapshitzer
Multi-startupeur
Fondateur d’AK Genève
Réindustrialisation, souveraineté économique et patrimoine d’innovation
Entretien vidéo avec Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, Directeur du cabinet Asteres et fondateur du Cercle de Belém.
J’en profite pour vous inviter à découvrir la programmation complètement folle des Rencontres de l’avenir, événement présidé par Nicolas Bouzou, du 20 au 22 novembre prochains, à Saint-Raphaël.
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Pour celles ou ceux qui seraient tombés sur cette newsletter par hasard, pour la première fois, ou qui ne me connaissent pas : l’objectif d’#Industry4Good est de proposer un regard candide sur l’industrie, le plus documenté possible. Son écriture est aussi l’opportunité d’apprendre, donc n’hésitez surtout pas à me signaler des inexactitudes, ou même votre désaccord avec certains propos, plutôt que de passer votre chemin sans que j’ai pu considérer vos retours.
De toute évidence, je ne parviens pas à tenir le rythme mensuel de sa publication, donc je vous dis à dans deux mois ! 😊