Industrie et territoires : une affaire « d'écosystèmes » ?
Les bassins d'emploi industriels les plus dynamiques ont un point commun : les acteurs locaux y collaborent particulièrement bien. Reste à savoir ce que l'on entend ici par « bien collaborer ».
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Le podcast est dispo ici 🎙️
C’est Pierre Musso qui m’a mis la puce à l'oreille l’année dernière lorsque je lui évoquais les origines vendéennes de ma mère. L’auteur de La Religion Industrielle, ouvrage de référence sans conteste, me disait alors : « La Vendée et la Suisse sont assez comparables en termes de dynamisme économique local. Ce sont des territoires très industrialisés, une zone où le chômage est au plus bas. »
Et pourquoi dont ? Selon lui les acteurs locaux, qu’ils soient politiques, culturels, industriels, associatifs y collaborent de façon très active, fluide et efficace. Ce sont des bassins d’emploi dynamiques au coeur desquels les industries (au sens large) et les services qui y sont associés occupent une place centrale.
🕵🏻♀️ Élémentaire mon cher Watson, mais une question demeure : qu’est-ce que signifie « bien collaborer » dans ce cadre précis ?
Après avoir interviewé des entreprises industrielles de France, de Navarre et de Suisse, des responsables politiques, mes proches vendéens et mainoligériens, après m’être délecté d’une partie non-négligeable de la littérature existante sur le sujet, le verdict est tombé : je n’allais pas pouvoir cerner le sujet seul. Trop d’histoire, de diversité culturelle, de réalités économiques, sociales et industrielles enchevêtrées pour espérer théoriser quoi que ce soit.
J’avais pourtant noté sur un calepin une définition qui me plaisait bien :
« Bien collaborer, c’est créer les liens entre les différents mondes économiques, au service du développement du territoire concerné. »
Alors de une, je suis incapable de retrouver la source de cette citation (si tu te reconnais, chère inspiratrice, cher inspirateur, appelle-moi) et de deux, j’ai une newsletter en retard à écrire, s’arrêter là n’était pas une alternative.
Quand soudain une opportunité tombe du ciel breton : le pôle de compétitivité ID4CAR me convie à prendre la parole sur un sujet connexe aux côtés d’Anaïs Voy-Gillis, qu’on ne présente plus.
Par conséquent il a bien fallu plancher un peu, et je vous propose ci-dessous de vous restituer les éléments clés ressortis de cette intervention et du travail de recherche associé. J’ai chapitré la version complète du replay, pour votre plus grande délectation. J’en profite pour remercier Guillaume Basset, Olivier Lluansi et Aron Kapshitzer d’avoir apporté des réponses à ma liste infinie de questions.
En quoi cette collaboration est un vecteur inégalé de ce que le sociologue Jean Viard appelle la « mise en désir » des territoires ?
Collaboration réussie : la magie italienne ?
Avez-vous entendu parler des districts industriels italiens ? Ils sont considérés avec attention par quiconque s’intéresse au sujet du dynamisme économique et industriel local, au même titre que les « systèmes productifs locaux lancés en France par la DATAR en 1997.
Nous avons la fâcheuse tendance à se comparer outre-mesure à l’Allemagne en termes d’industrie, oubliant de regarder ce qui se passe du côté de l'Italie ou de l'Espagne, pays dont les organisations industrielles territorialisées sont plus proches de la nôtre.
« L’Italie apparaît comme étant le contre-modèle de la politique de soutien des champions nationaux de la France. » expliquait Anaïs Voy-Gillis sur Xerfi Canal.
Il paese dei maccheroni comporte entre 150 et 160 districts industriels, dont 130 sont dédiés au « made in Italy ». Cette notion de district a été théorisée par l’économiste Alfred Marshall à la fin du 19ème siècle. Il défend l’idée d’une concentration sur une aire géographique donnée d’un ensemble de PME dont la structure, les modes de production et l’organisation répondent aux caractéristiques suivantes :
une décomposition du processus de production sur le territoire avec des divisions locales du travail,
des procédés de production ayant conservé des normes plutôt artisanales,
des structures d’organisation et de propriété relativement élémentaires,
une spécialisation très forte des entreprises dans une même industrie ou une même chaîne de valeur, partie intégrante de l’identité du territoire. On parle par exemple de la soie de Côme, des boutons de Grumello del Monte ou du marbre de Carrare,
un réseau de banques coopératives sur lesquelles les PME pouvaient s’appuyer inconditionnellement, démantelé cependant après la crise de 2008 pour des histoires de corruption, aboutissant à une réduction relative de l’accès au crédit pour les entreprises locales,
une fiscalité plus avantageuse qu’en France et un coût salarial horaire plus bas,
une mobilité possible et facilitée entre salariat et entrepreneuriat.
Ces districts génèrent à eux seuls 80 % de l’excédent de balance commerciale, mais ouvrons-nous à une liste de critères de notation plus globaux de l’économie italienne. L’herbe est toujours plus verte chez le voisin, mais comme le disait Ségolène Royal : « C’est bien la peine s’il utilise du Roundup. »
Les plus ? Une balance commerciale positive (une forte capacité à s’organiser pour exporter « en meute »), une bonne diversité des activités (produits manufacturés et agriculture en particulier), une volonté marquée de moderniser les usines (robotisation, industrie 4.0), des entreprises spécialisées (dont 200000 exportent, versus 90000 en France).
Les moins ? Le poids de la dette publique, les disparités territoriales entre Nord et Sud, le travail au noir (largement exploité d’ailleurs par l’industrie italienne du luxe comme avantage compétitif) qui freine le développement long terme du pays, le sous-investissement dans les infrastructures, la stagnation de la productivité, la sous-performance de l’administration, le faible positionnement sur les hautes technologies (secteurs low-tech plus faciles à disrupter, pourtant vertueux) et les bas investissements en R&D (1,7 % du PIB seulement).
Une des particularités d’Alfred Marshall était de distinguer économies internes « qui tiennent aux ressources des entreprises individuelles, à leur organisation et à l’excellence de leur direction » et économies externes qui « tiennent au développement général de l’industrie » (source ouvrage Principes, première édition 1890), ces deux économies étant interdépendantes. L’avenir de l’industrie se situerait-il à mi-chemin entre soutien national et développement local indépendantisé ? Y’aurait-il d’autres voies que celle d’un État providence soutenant majoritairement les grands groupes (ou filières, appelez ça comme vous voulez) industriels français ? Quel rôle occuperont les écosystèmes locaux dans le développement économique et social de notre pays ?
Ces territoires d’industrie qui nous épatent
La Roche-sur-Yon, qui héberge à quelques milliers près la population du 9è arrondissement de Paris, accueille 1200 établissements industriels manufacturiers dont une quarantaine emploie plus de 100 salariés. 5,2% de chômeurs au premier trimestre 2022. Une population qui croît d’environ 7000 ou 8000 personnes par an depuis 2008. Une résilience forte face aux différentes crises économiques des dernières décennies.
Figeac, qualifié de « petit éden industriel » dans un article du Monde. Une « Mecanic Vallée » méconnue, dans laquelle bat à l’unisson le coeur de 200 entreprises, employant plus de 13000 personnes. Un leader aussi, fédérateur, en mission pour son territoire : Jean-Marie Chanut, PDG de l’entreprise Ratier-Figeac.
La Vallée de l’Arve, qui héberge les 2/3 des entreprises du décolletage en France et fait front malgré la succession de coups de froid sur la filière. Une industrie de sous-traitance qui pèse 1/3 des emplois du bassin pour 20% du PIB de la zone, qui continue de se diversifier avec énergie et proactivité, certes soutenue par l’État. Deux siècles d’adaptation continue, de l’horlogerie à l’aéronautique en passant par l’automobile et les hautes technologies.
La communauté d’agglomération du Grand Chalon, avec son Président Sébastien Martin, qui va jusqu’à refuser les entreprises logistiques qui souhaitent s’y installer au profit d’entreprises industrielles. L’extension de 100 hectares du domaine industriel SaôneOr, premier parc industriel entre Paris et Lyon représentant 500 hectares, 330 entreprises et 6000 emplois. Un foncier industriel en moyenne 5 fois moins cher que celui des grandes agglomérations.
« Bienvenue dans l’épopée industrielle » : il suffit de se rendre sur le site de l’office du tourisme de Mulhouse pour se rendre compte de la place qu’est donnée à l’industrie dans la stratégie d’attractivité du territoire.
« Mulhouse a présenté dans la première moitié de ce siècle un exemple presque inouï d’une prospérité acquise à force de travail et de génie industriel. »
— Achille Pénot, Docteur en sciences et enseignant, premier directeur général de l’emlyon (pour l’anecdote)
Une industrie qui pèse 19,4% du PIB dans la région (3,1% de plus que les autres régions, hors Île-de-France), troisième plus grande valeur ajoutée industrielle de France derrière l’Île-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes. Représentant trois anciennes régions, dix départements, avec une activité industrielle principalement tirée par des champions comme PSA, Arcelor Mittal ou Alstom, le Grand Est a payé un lourd tribu face à de nombreuses crises, mais garde toujours le bras levé (on embrasse Amel Bent) et se réinvente.
Une liste bien entendue non-exhaustive de territoires qui affichent une force collaborative, une résilience et une dynamique socio-économique si particulières, littéralement « branchées » sur le secteur industriel et l’innovation.
Volatilité de l’industrie et conséquences locales
Pendant l’été j’ai enfin pu lire un ouvrage qui m’a été offert par Isabelle Camillerapp (l’occasion pour moi de la remercier à nouveau et de vous inviter à suivre son engagement pour les territoires) lors de l’événement à Rennes évoqué plus haut.
En lisant cet ouvrage, j’ai été interpellé par l’histoire industrielle du Pays de Fougères, m’apparaissant comme un emblème de la source volatile, à la fois endogène et exogène, d’évolution de la corrélation entre industrie forte et mouvement socio-économiques locaux.
Le pays de Fougères se situe au nord de la Bretagne et est localisé au carrefour de la Bretagne, de la Mayenne et de la Normandie. Jusqu’au début du 19è siècle, la zone est particulièrement productive en matière d’agriculture, de textile (le lin notamment), la verrerie, les moulins, le cuir, et ce depuis plusieurs siècles. Un pays d’élevage aussi, puisque L’Aumaillerie (📸 ci-dessous, crédits Ouest France) deviendra le premier marché aux bestiaux de France puis d’Europe dans les années 70, pour finalement déménager à Château-Gontier en 2018.
Un pays de pierre aussi avec des mines de tungstène, de zinc, de pyrite, de plomb argentifère. Une véritable diversité économique, vous l’aurez compris.
À la fin du 19è siècle, la ville de Fougères devient assez soudainement l’une des grandes capitales de la chaussure française. La révolution industrielle qui frappe aux portes de la France, le cuir local et les savoir-faire (la chaussure fougeraise naît vers 1850) associés sont les tremplins d’une explosion économique et démographique rapide. De 1874 à 1907, le nombre de fabriques triple et le nombre d’ouvriers quintuple. La moitié des habitants de Fougères travaillent alors dans la chaussure.
Cette accélération si rapide, trop rapide, rime avec une dégradation quasi-immédiate des conditions sociales, d’hygiène, doublée d’un surpeuplement palpable. Ainsi, cet élan de croissance est le terreau très fertile d’un syndicalisme qui commence à sérieusement prendre racine en Europe. En réponse aux mouvements de contestation qui se multiplient, les entreprises commencent à délocaliser.
Tous les regards étant rivés sur l’industrie, le tertiaire n’y a pas été développé. Le plan de transport local n’aide clairement pas : pas de ligne Rennes - Fougères (encore aujourd’hui), le Pays de Fougères ne sera pas concerné par le fameux PRB (Plan Routier Breton) ni pas les voies express 2x2. D’un carrefour majeur de la production française de chaussure, le Pays de Fougères devient vers 1975 « une sorte d’angle-mort ».
Les ouvriers de la chaussure iront travailler dans l’agroalimentaire. Ce secteur portera d’ailleurs un rebond périphérique des activités industrielles locales. Avec brio d’ailleurs, puisque sur le papier 24% des emplois restent dans l’industrie, ce qui est bien au-dessus de la moyenne française.
Autre phénomène intéressant, et puisque nous parlons dans cette édition de collaboration entre acteurs locaux : cette épopée industrielle accélérée et relativement éphémère a profondément amplifié l’opposition (historique) entre citadins et ruraux. Les patrons, négociants, commerçants et le prolétariat de la chaussure de Fougères deviennent urbains. Le tissu de petits ateliers de campagnes s’effilochent. L’antagonisme ville/campagne s’installe, et demeurera.
Aujourd’hui, Fougères communique beaucoup pour en finir avec un déficit d’image lié notamment à son historique de ville ouvrière, qu’elle n’est plus.
De cet enchevêtrement de phénomènes endogènes comme exogènes, historiques comme contemporains sont nés ce qui est décrit aujourd’hui comme des « querelles de clocher » freinant la coopération des acteurs locaux vers une vision commune du développement du territoire. Je vois en cela un symbole très fort et concret de la complexité des sujets de désindustrialisation en tant que dynamique, bien au-delà de la capacité à bien collaborer ou non.
Le destin d’un bassin d’emploi est lié à une dynamique aussi consciente qu’inconsciente, à la fois individuelle, locale, départementale, régionale, nationale, européenne, mondiale. Et c’est là toute la richesse et la puissance cachées derrière le charmant fourre-tout qu’est le terme réindustrialisation.
Une liste d’ingrédients, mais pas de recette
Assez digressé : qu’est-ce qui fait que la collaboration entre les acteurs impliqués dans le développement de l’activité au sein des territoires fonctionne plus ou moins bien ❓
1️⃣ Le terreau culturel local. On comprend l’existence d’une culture de collaboration locale très forte dans une zone comme la Vendée par exemple. Les révoltes chouannes unificatrices ne sont plus visibles mais sont toujours palpables. La défiance vis-à-vis des pouvoirs jacobins est ancrée, on sait se débrouiller seuls. Les paroisses qui ont contribué le plus activement aux soulèvements de 1793 (guerre de Vendée) sont les lieux où l’industrie est la plus active en milieu rural aujourd’hui.
2️⃣ Des leaders locaux profondément engagés, et qui militent contre les « guerres de chapelle. » Lors de la présentation du rapport final Stratégies de résilience des territoires par The Shift Project, Laurent Delcayrou déclare assez justement : « on ne peut pas être résilient contre son voisin. » J’ai cité plus haut Sébastien Martin et Jean-François Chanut, qui incarnent aux yeux de beaucoup un leadership inclusif, acceptant de ne pas ÊTRE l'autorité, mais d’agir en facilitateurs permanents d’une collaboration favorisant la valorisation de leur territoire dans tous les domaines imaginables.
3️⃣ Le climat de confiance et l’apaisement entre les acteurs locaux. Lorsque l’on prend l’exemple de la Suisse, la défiance vis-à-vis des entreprises industrielles est relativement faible. Le syndicalisme y est actif, structuré (20 % de syndiqués, plus du double du taux français). En analysant rapidement le champ lexical utilisé par les syndicats helvétiques dans leurs revendications, l’image du « méchant patronat » est beaucoup moins perceptible. D’ailleurs « on utilise pas trop le terme de patronat » me confirme Aron Kapshitzer. Les entreprises du privé financent abondamment le système de formation, misant massivement sur l’alternance. Le code du travail fait 200 pages en Suisse, contre 3600 en France. Le dialogue social difficile en France occasionne une forme de repli sur soi des différentes contreparties : la plupart des gros industriels communiquent de façon opaque par peur permanente du bad buzz, les collectivités veulent de moins en moins avoir à faire à l’État et souhaitent avoir les moyens de s’organiser de leur côté, les citoyens accusent les entreprises de tous les maux et brassent des informations souvent manichéennes et fantasmagoriques sur tout et rien en ligne. Les acteurs privés comme publics font du greenwashing plutôt de parler sereinement des objectifs qu’ils se fixent, qu’ils soient de croissance (le terme « profit » étant devenu le Voldemort du langage économique contemporain), de réduction de l’empreinte environnementale, de progrès social, ou mieux, de tout ça mélangé. Cette opacité dans l’échange, les non-dits, l’infobésité critique et le dogmatisme autour du rôle social de la néo-entreprise ne font qu’envenimer le débat public, ouvrant la porte aux dérives extrêmes que l’on connaît. La crise des Gilets jaunes n’est pas un accident de parcours, ou un énième mouvement contestataire à la française. C’est le symptôme d’une rupture complète de la communication entre des sphères qui ne veulent plus l’une de l’autre.
4️⃣ Des politiques qui mettent tout en oeuvre pour limiter la rupture ville / campagne, accompagnant les territoires vers une sortie du paradigme des villes qui innovent noblement (hightech, deeptech, R&D en général) versus les campagnes qui fabriquent et ramassent les miettes. On a vu le poids de cette rupture sur le destin du Pays de Fougères. Quand Marine Le Pen dit pendant la campagne qu’elle mettra « un euro dans les campagnes pour un euro dans la ville », ce n’est pas un hasard si 20000 communes sur 34000 la mettent favorite au premier tour de la Présidentielle 2022. 53% des communes en France n’ont pas de commerce. Industrie rime encore avec discorde dans l’espace public, les grands patrons industriels ont déserté les plateaux télé. Et pourtant, l’industrie a les moyens d’être un vecteur d’apaisement politique et social sans équivalent. L’investissement de l’argent public doit être mieux réparti et significativement moins concentré sur les centres métropolitains.
5️⃣ Un consensus local sur le fait que la désindustrialisation est une mécanique difficile à enrayer. Comme l'expliquent Carl Grekou et Thomas Grjebine, « plus un pays est désindustrialisé, plus les politiques de relance vont dégrader son solde commercial, car l'appareil productif est incapable de répondre à ce surplus de demande. » De manière très grossière : si on ne produit pas assez de chaises en France, cela veut dire qu’on en importe. On a donc besoin de moins d’usines de chaises. Si l’on décide de relancer l’économie par la consommation, les fabricants français de chaises ne pourront pas absorber la demande, donc on va importer… toujours plus, ce qui aboutira à la fermeture de nouvelles usines de chaises. Une histoire à finir debout. On salue nos amis de La Chaise Française.
6️⃣ Un système éducatif diversifié qui instruit les jeunes en leur donnant le moyen de devenir des faiseurs. Favorisons la porosité entre les cursus techniques et généraux, pour le bien de tous. La présence d’universités et de centres de R&D en régions, une approche modernisée de l’instruction et la promotion d’une culture makers dès le plus jeune âge sont des réponses à moyen terme aux sujets de diversité, de pénurie et de localisation de la main d’oeuvre, qu’elle soit qualifiée ou non d’ailleurs.
7️⃣ On ressent tout de même la capacité de certains territoires à faire preuve d’énormément de personnalité et de créativité collective face à l’adversité. On n’a pas d’autoroute flambant neuve ? Les dotations de l’Etat diminuent ? La centrale énergétique du coin va fermer ? La concurrence chinoise est trop forte ? Les bassins d’emploi industriels cités en exemple plus haut ont un point commun : ils ont la force et la résilience pour mettre des acteurs divers aux visions parfois divergentes en face d’ambitions communes, conjoncture positive ou pas. La Fabrique de l’Industrie estime que 40% de la compétitivité des entreprises et de leurs territoires réside dans des facteurs locaux, indépendamment des secteurs sur lesquels ils se sont spécialisés. Et honnêtement, on veut bien le croire. « La culture territoriale va devenir une France d’à côté » partage Olivier Lluansi.
8️⃣ Allégeons tant que possible le poids du centralisme français et celui les aberrations administratives qui l’accompagnent trop régulièrement. Illustration : pendant que le Conseil général de Bretagne valide en juin 2020 les 13 préconisations du rapport de coopération entre la Loire-Atlantique et la Bretagne, sur la « ligne » Nantes-Rennes gisent au niveau de Châteaubriant de gros plots de béton en travers de la voie, marquant la frontière entre Bretagne et Pays-de-Loire et obligeant les voyageurs à changer de train. Les deux lignes ne sont pas reliées. On pense d’ailleurs à la loi Voynet de 1999 légitimant la reconnaissance par les préfets de région de l’existence de 358 « pays » en France. Oui vous avez bien lu. Des pays qui, finalement, ne demandent qu’à collaborer davantage, non-contents des dispositifs mutuels pensés et proposés à l’échelle nationale, peinant dangereusement à prouver leur efficacité ces jours-ci. Barrières administratives fortes entre territoires versus besoin de collaborer avec un maximum d’agilité et un minimum de limites : la partie de tir à la corde risque de durer longtemps. On note également que France 2030 n'a pas de volet dit « Territoires ». Une enveloppe aidant au rebond industriel des zones les plus affectées a bien été annoncée, mais on reste dans un mode d’appels à projets verticaux. France 2030 a pour objectif de mettre les filières industrielles sous stéroïdes. Des filières industrielles largement trustées par les grands groupes. Bref, tout cela questionne.
9️⃣ Faire du made in France et de l’économie circulaire de vrais leviers socio-économiques. Olivier Lluansi évoque notamment dans une tribune récente la nécessité de « mettre nos écosystèmes productifs territoriaux au service de notre sécurité d’approvisionnements en générant dans nos territoires des centaines fabriques de produits de base, d’accès sûr et abordable et au bénéfice de notre cohésion territoriale. » Une compréhension commune des enjeux de souveraineté donc, loin de tout dogme. La France n’a pas les moyens du protectionnisme économique.
1️⃣0️⃣ La diversification des activités. Les 25 zones d’emploi ayant récemment enregistré une progression de la part de l’emploi industriel sont presque toutes situées dans l’Ouest. Le point commun entre ces nouvelles zones d'émergence industrielle : la variété des activités, qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec l’émergence ou la pérennité de zones de spécialisation, comme c’est le cas dans la Vallée de la Chimie lyonnaise. Presque 15% de l’activité des PME françaises est sous-traitée en moyenne. 23% pour les grands groupes. 12% pour les petites entreprises. Un territoire, c’est grand, il y a de la place pour tout le monde, et la demande sera là si l’industrie va bien.
1️⃣1️⃣ L’engagement local des industriels. Comme évoqué ici, prenons le cas du club de football de Sochaux créé par deux cadres de PSA au sein même du parc industriel de l'entreprise. On appelait d’ailleurs les joueurs les lionceaux en référence au logo de la marque automobile. Jusqu'en 1990 les cadres de PSA ne rataient pas un match. En 2016, Isabel Salas Mendez, Responsable des partenariats à l’époque dira « Le football est un sport qui ne va pas avec nos valeurs. Il véhicule des valeurs populaires et nous on essaie de monter en gamme. En 2016 nous avons décidé de tout concentrer sur le tennis français, le sport qui va le mieux avec nos valeurs de mixité et de développement à l'international. » Un acteur industriel est certes un acteur économique, mais ne doit pas oublier sa casquette d’acteur social, culturel, politique et citoyen. La France est le pays dont l’actionnariat est le plus internationalisé. Un actionnaire nordique ou américain ne peut pas endosser la responsabilité de l’échec ou du succès d’une stratégie locale en France de la même façon qu’un actionnaire français. La question de la régulation de l’actionnariat international dans notre pays se pose donc naturellement.
1️⃣2️⃣ Une conception du progrès remise à jour à l’échelle nationale, mais pas seulement. La réindustrialisation durable est une jolie formule, mais pour beaucoup d’entreprises elle n’évoque pas grand chose comme j’ai eu l’opportunité de le constater lors du salon Global Industrie. Quel critère pour définir la réussite d’une région en matière d’industrie ? La croissance ? L’emploi ? La diminution des externalités environnementales négatives ? Cette question, nous ne savons pas y répondre à l’échelle nationale. Bien des personnalités inspirantes ont largement évoqué la carence d’imaginaire collectif, de vision et de langage commun dont souffre la France et les français. Une chose est certaine : résumer la mission de l’industrie française au fait de devenir verte et souveraine est une erreur. Les enjeux sont beaucoup plus vastes, et j’espère que la lecture de cette édition vous donnera envie de vous emparer du sujet. Redéfinissons à tous les étages ce que nous sommes prêts à faire et ne pas faire au nom du profit économique court terme. Tout le monde s’en portera mieux.
1️⃣3️⃣ Enfin, il est important de reconnaître je crois qu’une partie significative de la définition d’une collaboration locale réussie relève de l’intangible. Aussi intangible qu’une foule manifestant son enthousiasme à la fin d’une concert, quand « sans aucune concertation préliminaire, l'éclat des applaudissements s'organise petit à petit en applaudissements rythmés. » Une édifiante analogie dont je n’ai pas réussi à trouver la source officielle malheureusement.
Attendez voir : le chiffre 13, il porte chance ou il porte malheur déjà ?
Nous espérons que cette édition vous a plu, et vous invitons à aller écouter les deux épisodes de podcast qui sont sortis depuis la publication de la dernière lettre. 🎧 ⬇️
Pensez également à nous rejoindre sur les réseaux si ça n’est pas déjà le cas ! Nous sommes sur TikTok depuis peu, et on s’y amuse plutôt bien.
Enfin, vous pouvez aller consulter notre dernière interview sur Maddyness aux côtés d’Éléonore Blondeau, Présidente du Collectif Startups Industrielles France.
À très bientôt, très belle rentrée à toutes et tous. 🎒