La valeur des actifs immatériels a dépassé il y a une dizaine d’années la valeur des actifs matériels, selon une étude de Jonathan Haskel et Stian Westlake à partir des bilans des plus grandes entreprises mondiales. À croire que l’éclatement bulle Internet en 2000 s’est laissée oublier ces vingt dernières années.
LafargeHolcim, lors de la fameuse fusion, a été contrainte à céder une grosse partie de ses actifs : trois cimenteries, des centres de broyage, Lafarge Allemagne, Tarmac (solutions de construction durable). Le prix pour CRH, le groupe américain ayant tout récupéré ? 6,5 milliards d'euros. Des milliers d'emplois, des tonnes de brevets, des infrastructures, cédés à nos amis d’outre-Atlantique au nom des lois de régulation concurrentielle. En parallèle, Whatsapp, une messagerie mobile améliorée, est vendue 22 milliards de dollars en 2014, l’équivalent de 350 millions de dollars par employé.
📈 Et pourtant la courbe de « starification » de la tech pour la tech stagne. La période Covid nous a mis face à une dure réalité : aucune application, aussi efficace et pratique qu’elle soit, ne suffira à combler notre manque en curare, en semi-conducteurs ou en bois. Et si la technologie ne prenait davantage de sens qu’au travers de l’industrie ? Et si la crise d’approvisionnement engendrée par la Covid était le déclencheur d’un retour progressif de la considération des actifs matériels dans notre pays ?
🎙️ Pour en parler j’ai le plaisir d’accueillir Luc Julia, co-concepteur de l’assistant vocal Siri, ancien vice-président Samsung en charge de l’innovation et désormais Directeur scientifique au sein du groupe Renault. Pourquoi cet invité, au-delà de son statut de rockstar de l’intelligence artificielle et des 10 ans de Siri fêtés cette semaine : parce que son arrivée au sein de l’équipe de Luca De Meo est une illustration parfaite d’une synergie forte et vertueuse qui reste à créer entre le monde des technologies pures et celui de l’industrie.
Oui, la tech a besoin de l’industrie pour prendre du sens et ancrer sa valeur au coeur des territoires et l’industrie a besoin des technologies pour renouer avec les citoyens tout en revalorisant ses infrastructures.
Un entretien passionnant d’un peu plus de 30 minutes dont je vous liste les chapitres ci-dessous. Bonne écoute ! 🎧
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1:18 : Quel est votre rapport à l’industrie ?
« L’industrie pour moi, c’est fabriquer des objets qui sont utilisés par des vrais gens. (…) Je redécouvre chez Renault que fabriquer des objets n’a rien de facile. »
2:58 : Qu’avez-vous appris de ces premiers mois chez Renault ?
« Je pensais qu’il y avait dans l’industrie beaucoup moins de technologies que c’est le cas. (…) Je ne pensais pas que les robots y étaient déjà autant connectés. »
4:15 : Qu’est-ce que vous vous dites quand vous êtes approché par Renault ?
« Le courant avec Luca De Meo passe très bien. Il m’explique son envie d’ajouter encore plus de technologies dans les véhicules, et d’engendrer un véritable tournant pour l’entreprise. »
6:15 : Vous disiez sur BFM récemment qu’il est important pour un acteur industriel d’avoir un pied dans la tech, et vice-versa. Est-ce que vous pourriez développer un peu là-dessus ?
« Je parle d'un problème de communication entre deux mondes qui ne se connaissent pas. Il faut que ces deux mondes s'éduquent entre eux. (…) J'ai toujours essayé de promouvoir la multidisciplinarité. L'innovation est faite par des gens qui ont un prisme différent. »
08:35 : Est-ce que les fabricants plus traditionnels sont quelque part « écrasés » par le poids et la complexité des procédés industriels ?
« Un des challenges majeurs de l'industrie, c'est le timing. On est obligé de sortir quelque chose rapidement. On a peu de temps pour vérifier dans quelle mesure on pourrait utiliser de nouvelles technologies qui nous aideraient vraiment à accélérer. »
09:39 : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'ambition de Software République ?
« On en revient au sujet de la multidisciplinarité. La Software République, c'est la réunion de cinq grosses entreprises françaises souhaitant travailler ensemble de manière plus ouverte pour essayer de proposer quelque chose de différent, en s'appuyant au maximum sur la spécialité et les compétences de chacun. »
11:43 : Est-ce qu'aux États-Unis l'innovation ouverte est quelque chose de plus répandu, naturel ?
« La Silicon Valley c'est un endroit où les gens collaborent systématiquement. C'est la ruée vers l'or. Une mise en commun systématique des compétences. (…) C'est ça la beauté de la Silicon Valley : un système collaboratif automatique. »
13:45 : On dit que l'industrie est sous-cotée, est-ce que la Silicon Valley est au contraire sur-cotée selon vous ?
« En termes de valeur technologique proposée, pas du tout. Les gens y viennent pour inventer des choses, depuis toujours et dans un contexte décomplexé et compétitif. (…) Après en termes de volumes produits, quand General Motors produit plusieurs millions de véhicules par an, Elon Musk en produit 300.000. »
16:23 : Une vidéo circule sur Twitter dans laquelle Elon Musk explique que concevoir le système de production d'un produit est 10 à 100 fois plus compliqué que de concevoir le produit lui-même. Est-ce que cela ne résume pas assez bien finalement ce que vous venez faire au sein des équipes Renault ?
« Développer des produits qui soient excitants c'est une chose, mais dès qu'il s'agit d'en produire des milliers ou des dizaines de milliers c'est une autre histoire. (…) C'est un savoir-faire. Les acteurs de la Silicon Valley se sont aperçu que ça n'était pas si facile que ça. »
18:49 : LafargeHolcim, lors de sa fusion, a été contrainte pour des raisons de concurrence loyale à vendre une belle partie de ses actifs pour 6,5 milliards d'euros à un groupe américain. Des milliers d'emplois, des tonnes de brevets, des infrastructures… En parallèle, Whatsapp est vendu 22 milliards de dollars en 2014. Ça vous évoque quoi ?
« Je ne suis pas un expert mais je ne comprends pas pourquoi on assiste à une telle dévalorisation du monde physique. (…) La meilleure manière de redonner de la valeur aux infrastructures tangibles est d'y rajouter une couche de numérique et de services. »
21:53 : Un des enjeux des industries traditionnelles c'est d'attirer les jeunes. Comment on fait ça ? La tech pour l'instant c'est quand même l'eldorado pour la nouvelle génération...
« Les technologies dans la voiture, ça devrait être ça le nouvel eldorado ! (…) Le 100 % dématérialisé ne suffit pas. Ce n'est pas un morceau d'algorithme qui va nous transporter d'un endroit à un autre. (…) C'est pour ça que les Google et Facebook essaient tant de produire des objets, parce que ça touche les gens. »
24:22 : Pourquoi y'a-t-il autant d'écart entre ce que présageait Robert Zemeckis dans Retour vers le futur et les avancées réelles à ce jour en matière de mobilité autonome ?
« C’est un des problèmes des rêveurs de la tech : le mensonge. L’idée d’une voiture qui pourrait faire tout et n’importe quoi à votre place est fausse. (…) L’IA ça n’est pas Dieu. (…) On nous a menti : la voiture autonome de niveau 5, celle d’Holywood, n’existera jamais. »
28:39 : Qu’est-ce que vous donneriez comme conseil à un homme de 35 ans qui navigue de façon un peu schizophrénique entre passion pour la mobilité et conscience que les émissions carbone de celle-ci ne sont plus acceptables aux vues des enjeux environnementaux actuels ? Elle existe celle mobilité verte ?
« Je ne sais pas si une mobilité verte ça existe, mais une mobilité plus verte ça existe très certainement. Faisons déjà mieux que ce que l’on fait aujourd’hui. (…) Le mot clé, c’est l’éducation. Comprenons ce que nous faisons. Si on s’éduque ensemble on pourra prendre les bonnes décisions. »
32:02 : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? À quoi ressemble une journée au travail de Luc Julia ?
« Ça consiste à parler à beaucoup de gens. Sur les aspects industriels, on travaille beaucoup sur le fonctionnement de l’usine au sens large, l’optimisation de la fabrication, sa flexibilité, ses dépenses en énergie. (…) Ensuite il y a la voiture en elle-même, le dehors comme le dedans. (…) Faire en sorte que la voiture devienne une extension de la maison. (…) Atteindre cette voiture autonome de niveau 4, quand Tesla et Waymo, les plus avancés en la matière, n’en sont qu’au niveau 2.5. »
Un immense merci à Luc Julia pour sa sympathie et son temps, et merci à vous !
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😘 À très vite !
[Podcast] Épisode #3 - On parle d'industrie avec Luc Julia, co-créateur de Siri